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X
NOTICE

XII NOTICE

gre Ovide lui-même, qui assigne deux causes à son exil, n’en admettre qu’une, l’Art d’aimer ; et ils ont représenté ce poète comme une des victimes de la réaction morale qui eut lieu sous Auguste, quand ce prince, qu’on a comparé à Louis XIV, entreprit, après avoir scandalisé le monde, de lui donner, dans sa vieillesse, l’exemple d’une grande sévérité pour ce qui louchait les mœurs ; sévérité tardive, qu’attestent l’exil de Julie et plusieurs passages des écrivains de ce siècle. L’Art aimer, ouvrage innocent pendant dix ans, devint donc tout à coup une œuvre criminelle aux yeux du prince qui avait naguère protégé les poètes les plus licencieux, et composé lui-même des vers que l’auteur de l’Art d’aimer eût, comme on l’a dit, rougi d’insérer dans ses chants. D’autres veulent qu’il ait été exilé pour avoir lu à Julie les derniers vers de ce poème ; mais Ovide parle d’une erreur, d’un crime de ses yeux. Il fut donc, a-ton affirmé, le témoin des débauches impériales, et il aurait surpris le secret des adultères ou des incestes d’Auguste ; mais Ovide, qui rappelle si souvent sa faute, n’eût-il pas craint, si elle avait eu quelque chose d’offensant pour l’honneur d’Auguste, d’irriter, par ce souvenir, plutôt que de désarmer sa colère ? Ovide, suivant d’autres, fut non seulement le témoin, mais le complice des débauches de la famille impériale, soit avec Livie, que son âge eut du mettre à l’abri de ce soupçon, et pour laquelle on a aussi prétendu qu’il avait composé l´Art d’aimer ; soit avec Julie, fille d’Auguste, qui était cependant reléguée depuis dix années dans l’île Pandataire quand Ovide le fut à Tomes ; soit enfin avec la Julie petite-fille de l’empereur, laquelle n’était pas née lorsque le poète écrivait les Amours. À ces opinions l’on peut objecter encore qu’Ovide n’eût pas ajouté à sa faute celle de rappeler sans cesse à Auguste son déshonneur dans celui de sa femme, de sa fille ou de sa petite-fille. D’ailleurs, être le complice de l’une ou de l’autre, ce n’était pas voir, mais commettre une faute ; ce n’était pas simplement une erreur, mais un crime. Le poète, en comparant quelque part son erreur à celle d’Actéon, a semblé, aux yeux de quelques-uns, vouloir en indiquer la nature ; il ne s’agissait plus que de nommer la pudique divinité qu’avait pu blesser l’indiscrétion d’Ovide, et l’on n’a rien imaginé de mieux que de le montrer contemplant au bain, d’un œil furtif, les charmes sexagénaires de Livie. Enfin, il aurait surpris la seconde Julie avec un de ses amants, et aurait livré à ses serviteurs et à ses amis ce secret, qui, grâce à eux, serait bientôt devenu celui de Rome :

Quid referam comitumque nefas famulosque nocentes ?

Chacun a cherché le mot de cette énigme ; qui l’a trouvé ? De nos jours, cependant, un traducteur d’Ovide a donné, de la disgrâce du poète, une explication ingénieuse, plus neuve, sinon plus solide que toutes ces conjectures, et consacrée depuis par l’assentiment des critiques. Cette disgrâce eut, suivant lui, une cause toute politique : maître d’un secret d’état, Ovide paya de l’exil la dangereuse initiation aux affaires de l’empire. Puissant dans l’univers, Auguste, dominé par Livie, était dans son palais faible et malheureux. L’empire, après lui, appartenait à Agrippa son petit-fils ; mais Livie voulait le donner à Tibère, qu’elle avait eu de son premier époux ; elle rendit Agrippa suspect à l’empereur, et le fit bannir. C’est vers la même époque que fut exilée Julie, sœur d’Agrippa, et que Ovide fut relégué à Tomes, et cette proscription commune et simultanée peut être attribuée à la même cause ; ou bien le poêle avait cherché à réveiller en faveur d´Agrippa la tendresse d’Auguste, que Tibère effrayait déjà ; ou bien le hasard l’avait rendu témoin de quelque scène honteuse entre Auguste, Tibère et Livie, et il dut expier par l’exil ses vœux pour Agrippa ou le crime de ses yeux. On sait en effet, Tacite et Plutarque l’attestent, qu’Auguste songea un moment à rappeler son petit-fils. Accompagné du seul Maxime, son confident et l’ami le plus cher d’Ovide, il visita dans l’île de Planasie l’infortuné Agrippa. Là il pleura, dit-on, avec lui et lui fit peut-être espérer l’empire. Maxime eut l’impiudence de confier ce secret important à Marcia, sa femme, et celle-ci de le révéler à Livie. Maxime se tua pour échapper à Tibère, et Ovide s’accusa toujours de la mort de son ami. Cependant Auguste allait pardonner à Ovide,

Cœperat Augustus deceptæ ignoscere culpæ,

quand il mourut subitement à Nole. Tibère lui succède ; Agrippa tombe sous le glaive d’un centurion ; sa mère et sa sœur périssent dans l’exil : celui d’Ovide ne pouvait plus avoir d’autre terme que la mort. Ses plus implacables ennemis n´étaient-ils pas Tibère et Livie, qui, après l’avoir fait reléguer à Tomes par Auguste, devaient vouloir qu’il y mourût ? On peut se figurer le désespoir d’Ovide lorsqu’il se vit enfin dans cette ville. Il n’entendait pas la langue de ce peuple sauvage, et, pour ne pas désapprendre la sienne, il en répétait tout bas les mots qu’il craignait le plus d’oublier. Des hommes à la voix rude, au regard féroce, aux habitudes sanguinaires, tels étaient désormais les concitoyens du poète galant de la Rome impériale. Sans cesse menacés, attaqués sans cesse par les hordes voisines, les Tomitains vivaient armés, ne quittaient jamais leurs traits empoisonnés du fiel des vipères. Les toits des maison étaient hérissés de flèches lancées par les Barbares ; souvent les sentinelles jetaient le cri d’alarme, car des escadrons d’ennemis avaient paru dans la plaine, cherchant à surprendre et à piller la ville ; les habi-