Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
les métamorphoses

gnes de la déesse, car la déesse est digne de mes chants ! Une île vaste, Trinacrie, couvre les restes d’un géant et, sous sa masse énorme, presse Typhée, qui osa aspirer au céleste séjour. Il lutte contre ce fardeau, et souvent il s’efforce de se relever ; mais sa main droite est placée sous le Pélore, voisin de l’Ausonie, sa gauche sous tes pieds, ô Pachyne ! le Lilybée pèse sur ses jambes, et l’Etna sur sa tête. Couché sous les flancs de cette montagne, Typhée lance des tourbillons de sable, et de sa bouche ardente vomit un torrent de flammes. Que de fois il s’agite pour briser les masses qui l’accablent, et pour secouer les villes et les monts entassés sur son sein ! La terre tremble sous ses efforts ; le maître lui-même du silencieux empire craint qu’elle ne s’entr’ouvre, sillonnée par des cavités profondes, et que le jour, pénétrant dans sa demeure, n’aille glacer d’effroi les ombres épouvantées. La peur de ce désastre l’avait fait sortir de son ténébreux palais, et, sur son char traîné par de noirs coursiers, il visitait d’un œil attentif les fondements de la Sicile ; lorsqu’après un examen sévère, il a vu que rien ne chancelle, ses craintes l’abandonnent. Du haut du mont Éryx, son empire, Vénus l’aperçoit errant dans la plaine ; elle embrasse son fils volage : « Ô toi, mon appui, ma force et ma puissance ; ô mon fils ! dit-elle ; prends ces traits qui domptent le monde, ô Cupidon ! et dirige tes flèches rapides vers le cœur de ce dieu à qui le sort assigna la dernière part de ce triple univers : les dieux de l’Olympe, et Jupiter lui-même, les divinités de la mer, et celui qui leur donne des lois, subissent ton joug victorieux. Pourquoi l’enfer manque-t-il à notre triomphe ? Pourquoi ne pas l’ajouter à ton empire et à celui de ta mère ? L’enfer est la troisième partie du monde. L’Olympe (voilà le fruit de notre patience) a déjà des mépris pour nous ; la puissance de l’Amour s’affaiblit avec la mienne. Ne vois-tu point Pallas et la déesse habile à lancer le javelot échapper à mes lois ? La fille de Cérès, si nous le souffrons, gardera comme elles une éternelle virginité ; elle aussi nourrit cette espérance. Ô mon fils ! si l’empire que je partage avec toi me donne quelques droits sur ton cœur, fais que Pluton devienne l’époux de sa nièce. » Vénus parle, et Cupidon ouvre son carquois ; il y prend, au gré de sa mère, une flèche qu’il choisit entre mille ; il n’en est pas de plus aiguë, de plus certaine, de plus docile à l’impulsion de l’arc. Il courbe le bois flexible sur son genou, et perce d’un trait acéré le cœur du roi des enfers.

Non loin des remparts d’Enna(16) est un lac profond qu’on appelle Pergus ; jamais le Caystre, dans son cours, n’entendit chanter plus de cygnes sur son rivage : des arbres touffus couronnent ses eaux et les enveloppent au loin d’un rideau de verdure, qui ferme tout accès aux traits de Phébus, et répand une agréable fraîcheur ; la terre que baigne cette onde est émail-