Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/422

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vent à la place des fourches qui la soutenaient : le chaume devient or, l’enceinte se pave de marbre, les portes se chargent de riches sculptures, et l’or rayonne sur toute la cabane. Alors le fils de Saturne leur adresse ces bienveillantes paroles : « Vieillard, ami de la justice, et vous, femme digne d’un tel époux, parlez, quels sont vos vœux ? » Les deux vieillards confèrent un moment ensemble, et Philémon se faisant l’interprète de leurs communs souhaits : « Le ministère et la garde de vos autels, dit-il, voilà notre seule ambition ; et puisque notre vie s’est écoulée au sein de la concorde, puisse la même heure y mettre fin ! Puissé-je ne point voir le bûcher de mon épouse, puissé-je ne pas être déposé par elle dans le tombeau. » Leurs vœux furent exaucés ; ils conservèrent la garde du temple le reste de leur vie. Un jour que, chargés d’ans, et assis sur les degrés du temple, ils contaient à des voyageurs l’histoire de ces lieux, Baucis voit Philémon se couvrir de feuillage, Philémon voit Baucis se couvrir de rameaux ; déjà une froide écorce atteint leur visage et l’enveloppe par degrés. Tant qu’ils peuvent parler, ils échangent de tendres paroles : leurs adieux se confondent dans un même adieu, et leurs bouches disparaissent en même temps sous le bois qui les couvre. L’habitant de Tyane(15) montre encore l’un à côté de l’autre les deux troncs qui renferment leurs corps. Deux vieillards dignes de foi et qui n’avaient aucun intérêt à me tromper m’ont conté cette histoire : j’ai vu de mes yeux les rameaux de ces arbres ornés de guirlandes, et moi-même y suspendant des fleurs que ma main venait de cueillir : « La piété est chère aux dieux, m’écriai-je ; les honneurs qu’elle leur rend, elle les reçoit à son tour. »

VII. Lélex cessa de parler ; son récit, fortifié par l’autorité de sa vertu, avait touché tous les cœurs. Thésée surtout témoignait par son émotion un vif désir d’entendre raconter les merveilles de la puissance des dieux. Appuyé sur sa couche, le fleuve qui baigne Calydon lui adresse la parole en ces termes : « Il est des corps qui, métamorphosés une fois, conservent à jamais leur nouvelle forme ; mais il en est d’autres qui ont reçu du ciel le privilège de se transformer à leur gré. C’est le vôtre, divin Protée(16), habitant de la mer dont les bras entourent le monde : on vous a vu prendre tantôt la forme d’un jeune homme, tantôt celle d’un lion ou d’un sanglier furieux ; on vous a vu couvert de la peau d’un serpent qu’on aurait eu horreur de toucher, ou bien, armé des cornes d’un taureau ; vous devenez tour à tour arbre et rocher ; tantôt, empruntant la liquide transparence des eaux, vous vous changez en fleuve, et tantôt vous êtes la flamme ennemie de l’onde.

La femme d’Autolycus(17), fille d’Érisichthon, n’a pas moins de pouvoir ; son père affectait pour les dieux un mépris sacrilège, et ne faisait jamais fumer d’encens sur leurs autels. C’est lui, dit-on, qui, la hache à la main, osa