Page:Ozanam - Œuvres complètes, 2e éd, tome 01.djvu/114

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aux dernières témérités. Au milieu de ces orages et au-dessus paraissent les deux anges de l’école, saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure : ils semblent chargés, si la mort ne les arrêtait, de poser la dernière pierre, l’un du dogmatisme, l’autre du mysticisme chrétien. Ces deux saints ne craignent pas d’énerver la théologie en reconnaissant la philosophie comme une science distincte ; ils n’ont pas pour la raison ces superbes dédains qu’on a trop affectés depuis. Du haut des vérités éternelles ils ne méprisent pas les besoins du temps, ils les embrassent d’une vue désintéressée, et saint Thomas écrit sur l’origine des lois, sur la part légitime de la démocratie dans les constitutions politiques, sur la tyrannie et l’insurrection, des pages dont la hardiesse a étonné les modernes. Jamais la pensée ne fut plus libre que dans ce temps qu’on a représenté comme l’esclavage de la pensée. C’était peu de la liberté, elle eut la puissance, elle eut ses universités dotées par les papes et les empereurs, elle eut ses lois, ses magistratures, son peuple studieux et turbulent. Un historien de cette époque donne à la chrétienté trois capitales : « Rome, siége du sacerdoce ; Aix-la-Chapelle, siége de l’empire, et Paris, siége de l’école. »

Ainsi la vie coule pour ainsi dire à pleins bords dans la littérature savante ; mais elle ne ruisselle pas avec moins de fécondité, elle fleurit avec plus de grâce et de fraîcheur dans les langues vulgaires. Elle leur fait produire deux poésies : la première, commune à toutes les nations de l’Occident, bien qu’elle mûrisse d’abord