Page:Ozanam - Œuvres complètes, 2e éd, tome 01.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

on arrosait les statues. Quelquefois le prêtre désaltérait leur soif en leur jetant à pleine coupe le sang d’un gladiateur. Des hommes raisonnables passaient leur journée au Capitole, rendant à Jupiter les services que les clients devaient à leur patron : l’un le parfumant, un autre lui annonçant les visiteurs, un troisième lui déclamant des comédies[1]. Mais Rome voulait un dieu plus vivant que le Jupiter Capitolin. Elle l’eut, non-seulement visible, mais formidable, en la personne de l’empereur. Il n’y avait rien de plus divin sur la terre puisqu’il n’y avait pas de majesté plus éclatante et mieux obéie. Le paganisme ne fit que pousser ses conséquences jusqu’au bout quand il divinisa les Césars. Mais en même temps la raison arrivait à son dernier abaissement : l’Égyptien agenouillé devant les bêtes du Nil outragea moins l’humanité que le siècle des Antonins, avec ses philosophes et ses jurisconsultes rendant les honneurs divins à l’empereur Commode[2].

D’un autre côté, le paganisme pervertissait la volonté humaine en la détournant du souverain bien par deux passions : la terreur et la volupté. L’homme a besoin de Dieu, et cependant il a peur de Dieu ; il en a peur comme des morts, comme de l’autre vie et de toutes les choses invisibles. Il y est invinciblement attiré, et ce-

  1. Photius, Bibliothec., 215 ; Tite-Live, lib. XXXVIII, cap. 45 ; Cicéron, in Verrem, act. II, orat. IV ; Minutius Felix, Octavius, 23 ; Tertullien, Apolog., 12 ; S. Cyprien, de Spectaculis ; Arnobe, Adversus gentes, lib. VI, cap. 17 ; Sénèque, cité par S. Augustin, de Civit. Dei, lib. VI, cap. 10.
  2. Lampride, Commodus Antoninus.