Page:Ozanam - Œuvres complètes, 2e éd, tome 01.djvu/163

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duquel le poëte Lucrèce put dire que la crainte seule avait fait les dieux. De là encore les délires de la magie, qui n’était qu’un effort désespéré de l’homme pour résister à des divinités violentes et pour les vaincre, non par le mérite moral de la prière et de la vertu, mais par la force physique de certaines opérations et de certaines formules. On ne peut rien voir de plus étrange et de plus instructif que ce système de conjurations, d’incantations, d’observations insensées, à l’aide desquelles le peuple le plus sage de la terre croyait enchaîner la nature[1]. Cependant tôt ou tard cette puissance terrible rompait ses nœuds et se vengeait de l’homme par la mort. La mort restait donc la dernière dominatrice du monde païen ; et voilà pourquoi le sacrifice humain fut le dernier effort de la liturgie païenne. C’étaient principalement les dieux infernaux, c’étaient les âmes des ancêtres, pâles, exténuées, errantes autour de leur sépulture, qui demandaient du sang. Sous Tarquin l’Ancien, on sacrifiait des enfants à Mania, mère des Lares. Aux plus beaux siècles de la république et de l’empire, on enterrait tout vivants un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque, pour détourner l’oracle qui promettait le sol de Rome aux barbares. La conjuration prononcée sur la tête des victimes les livrait aux dieux de l’enfer ; et Pline, contemporain de ces cruautés, n’est frappé que de la majesté du cérémonial et de l’énergie des formules. Con-

  1. Caton, de Re rustica, 152, 141, 160 ; Pline, Hist. nat., lib. XVIII, cap.2.