Page:Ozanam - Œuvres complètes, 2e éd, tome 01.djvu/66

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pouvons pas nous vanter d’avoir égalé les malheurs ; car je ne m’associe pas à ceux qui accusent si hautement le temps présent, ce qui est une autre manière d’accuser la Providence. Je parcourrai d’une vue rapide l’espace compris entre la chute de l’empire romain et la fin des temps barbares. Là où la plupart des historiens n’ont vu que des ruines, j’étudierai le rajeunissement de l’esprit humain, j’essayerai d’ébaucher l’histoire de la lumière dans un âge de ténèbres, et du progrès dans une période de décadence.


La pensée du progrès n’est pas une pensée païenne. Au contraire, l’antiquité païenne se croyait sous une loi de décadence irréparable : le genre humain se souvenait des hauteurs d’où il était descendu, et il ne savait pas encore comment en remonter les pentes. Le livre sacré des Indiens déclare qu’au premier âge « la justice se maintient ferme sur ses quatre pieds : la vérité règne, et les mortels ne doivent à l’iniquité aucun des biens dont ils jouissent. Mais dans les âges suivants la justice perd successivement un pied, et les biens légitimes diminuent en même temps d’un quart. » Hésiode berçait les Grecs au récit des quatre âges, dont le dernier avait vu fuir la pudeur et la justice, « ne laissant aux mortels que les chagrins dévorants et les maux irrémédiables. » Les Romains, les plus sensés des hommes, mettaient l’idéal de toute sagesse dans les ancêtres ; et les sénateurs du siècle de Tibère,