Page:Ozanam - Œuvres complètes, 2e éd, tome 01.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout entière et en toute chose. Toujours une lumière reste quelque part ; elle marche et finit par rallier à sa suite les générations fourvoyées. Quand l’Évangile pâlit en Orient, il éclaira les peuples du Nord. Au moment où les écoles d’Italie se fermaient devant l’invasion des Lombards, la passion des lettres se ralluma au fond des monastères irlandais. Quelquefois le progrès, interrompu dans les institutions, retrouve son essor dans les arts ; et, quand l’art fatigué s’arrête, la science prend la conduite des esprits. Si les libertés publiques se taisent sous Louis XIV, d’autres voix se font entendre, les voix immortelles des orateurs et des poëtes qui attestent que la pensée humaine ne sommeille pas. Si l’éloquence et la poésie semblent aujourd’hui descendues de cette élévation où le dix-septième siècle les porta, le génie scientifique de notre siècle n’est pas monté moins haut, et qui accusera d’immobilité le temps d’Ampère, de Cuvier et de Humboldt ?

Mais, tandis que l’humanité accomplit une destinée inévitable, l’homme reste libre. Il peut résister à la loi du progrès, toujours obligatoire, mais non plus nécessaire pour lui. Il peut se refuser à l’attrait intérieur qui le sollicite, à l’entraînement de la société qui le pousse vers le mieux. D’ailleurs deux choses sont personnelles et ne se ressentent pas du cours des temps : je veux dire l’inspiration et la vertu. La Divine Comédie surpasse l’Iliade de toute la supériorité du christianisme ; mais Dante n’est pas plus inspiré qu’Homère. Leibnitz sut infiniment plus qu’Aristote, mais pensa-t-il davantage ?