Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 10.djvu/319

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sienne. Qui sait si cette idée ne s’évanouira pas comme tant d’autres ? J’ai durement appris depuis dix-huit mois, ou plutôt j’ai été mis à même d’apprendre cette science de l’abnégation qui m’a toujours paru si difficile. Moi qui autrefois n’aurais pu fermer l’œil le soir sans avoir dessiné pour le lendemain le plan détaillé de ma journée ; moi qui me plaisais à construire, en dehors des étroites limites du présent, le capricieux édifice de mon avenir, maintenant l’incertitude, pareille à nos brouillards d’hiver, me ferme l’horizon à quatre pas. Mes projets se renversent comme les bizarres figures que forment les nuages dans le lointain : je commence à savoir ce que vaut la volonté de l’homme, quand elle n’a pas les circonstances à son service. Plût à Dieu que je susse aussi bien me confier en lui que me défier de moi ! Du reste, hormis mes calculs, en moi et autour de moi peu de choses sont changées. Si, en relisant une de mes anciennes lettres, tu compatissais à mes peines d’alors, peut-être était-ce quelqu’une de ces affinités merveilleuses qui lient les cœurs à distance, et qui t’intéressait à ton insu à mes afflictions actuelles. Ma mère, toujours également souffrante, avec cette chance de plus que des souffrances déjà longues donnent à une terrible catastrophe ; mes frères presque toujours loin de moi ; la gêne d’une fortune insuffisante ; quelques amis, mais bien peu, avec lesquels il y ait complète asso-