Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 2.djvu/128

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de l’armée et jusqu’aux grandes charges de l’empire. Mais il reste à savoir par quel prodige le latin, cette vieille langue païenne qui gardait les noms de ses trente mille dieux, cette langue souillée des impuretés de Pétrone et de Martial, devint chrétienne, devint la langue de l’Eglise, celle du moyen âge ; comment cet idiome, qui semblait destiné à unir avec le monde des flancs duquel il était sorti, resta langue vivante sur le tombeau d’une société morte ; à ce point que pendant tout le moyen âge on ne cessa de prêcher, de haranguer et d’enseigner en latin, et que de nobles peuples, de nos jours encore, n’ont pas abjuré cette langue latine qui est en quelque.sorte une partie de leur liberté. Ainsi c’est cette transformation, sans exemple dans l’histoire de l’esprit humain, dont il faut nous rendre compte et qui vaut bien la peine d’appeler un moment votre attention. Ma tache épineuse serait plus difficile encore si elle ne m’avait été aplanie par mon excellent collègue, M. Egger, qui a montré cette même révolution s’accomplissant dans la langue grecque à Alexandrie.

Rien ne semble, au premier abord, moins capable des idées chrétiennes que cette vieille langue latine qui, dans son âpreté primitive, ne semblait faite que pour la guerre, pour l’agriculture et pour les procès. Voyez le vieux latin avec ses formes dures, concises, monosyllabiques ; c’est bien l’idiome d’un peuple qui n’a pas le loisir de se perdre, comme