Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/151

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par ma folie. » En effet, c’était bien ce fou qui devait immortaliser la riche mais obscure maison des Benedetti. Sous les égarements du désespoir, il cachait les premiers transports d’une pénitence héroïque. La pensée de la mort ne lui laissait pas de repos : il demandait la paix aux Livres saints, qu’il lut d’un bout à l’autre. Il y apprenait à expier par la pauvreté volontaire les délices de sa première vie, et, en retour des applaudissements qu’il avait trop aimés, à chercher l’humiliation, le mépris, les huées des enfants. Il y apprenait à réparer le tort d’une éloquence trop souvent prêtée à l’injustice des hommes, en les instruisant désormais, en les avertissant comme faisaient les prophètes, par des signes plus puissants que tous les discours. De même que Jérémie avait paru sur les places de Jérusalem avec des fers aux mains et le cou chargé d’un joug, pour figurer la captivité prochaine ainsi, au milieu d’une fête, Jacopone s’était montré demi-nu, se traînant sur les mains, bâté et bridé comme une bête de somme ; les spectateurs s’étaient retirés pensifs, en voyant où venait aboutir une destinée si brillante et si enviée. Une autre fois, un de ses parents qui sortait du marché portant une paire de poulets, le pria de s’en charger pour un moment « Vous les remettrez, « dit-il, à ma demeure. » Jacopone alla droit à l’église de Saint-Fortunat, où ce parent avait la sépulture de sa famille, et déposa les poulets sous