Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/389

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versement d’un cœur brise, remué, retourne jusqu’au fond ; c’est dans les remords et les larmes, que je vois naître le poëme. Un grand ouvrage veut deux choses, l’inspiration qui vient d’ailleurs, et la volonté qui est de l’homme. Dès la mort de Béatrix l’inspiration était venue Dante, visité d’une vision merveilleuse, s’était proposé de faire pour sa bien-aimée « ce qui ne fut jamais fait pour aucune autre[1]. » Mais ce dessein remis, négligé, trahi par tant d’infidélités, aurait péri comme tant d’idées que Dieu envoie et que les hommes ne reçoivent point. Ils ne fallait pas moins que les saintes violences de la religion pour vaincre la volonté récalcitrante du poète, l’arracher aux distractions coupables, et le contraindre à l’accomplissement de son vœu, à ce travail forcé où la Providence le condamnait, à cette pénitence glorieuse enfin, qui fut la Divine Comédie.

On voit maintenant pourquoi Dante, laissant les chemins battus de l’épopée romanesque, se trouva conduit au cœur même de la poésie religieuse. Il voulut fixer par la parole les grands spectacles de l’éternité qui l’enveloppaient. Cet homme sincère voulut rendre, non les rêvés de son génie, màis ce qui avait effrayé sa conscience, ce qui lui apparaissait, non-seulement dans l’enseignement des théologiens, mais dans la croyance des peuples. Il vou<"

  1. Vita Nuova, et les recherches sur Béatrix : Œuvres complètes d’Ozanam, t. VI, chap. II de la IV° partie.