Page:Père Peinard - Almanach 1894.djvu/35

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Heureusement, j’ai un bobo ; et comme je suis pas mal fouinard, c’est lui qui m’a sauvé la mise. C’est une varice, petiote comme rien ; le jour où je passai la révision, j’ai fait, dans la matinée, une sacrée nom de dieu de trotte. L’après-midi j’ai enfilé le costume du grand-père Adam et l’on m’a réformé illico.

C’est pas pour dire, mais y en a bougrement qui truquent dans les mêmes conditions. Parbleu, chacun tient à sa carcasse, — on n’en a pas de rechange, une fois usée, c’est pour de bon !

Nom de dieu de nom de dieu ! quand je pense tout de même aux couleuvres que j’ai avalées ; quelles floppées, oh là là !

Naturellement, au temps où je gobais que les mômes poussaient sous les choux j’étais catholique.

Faut dire qu’à l’époque, même les types qui se disaient démocrates, laissaient les marchands d’eau bénite salir leur mômes ; les faisaient baptiser, confirmer, communier, marier, etc.

Ils trouvaient ça simple, tout en étant libre-penseurs. — Et, sans remonter si haut, il est facile d’en dégotter de ces bougres-là, encore aujourd’hui.

Donc, comme tous les gosses, on m’a abruti avec les gnoleries chrétiennes.

Pourtant, c’est ce qui m’a passé le plus vite ; une fois en apprentissage je me suis rapidement dégourdi.

Les marchands de prières nous prêchent le paradis : « C’est très bath, le paradis, que je me dis. Seulement, je le veux sur cette terre, de mon vivant. Quand j’aurai tourné de l’œil ce sera pour de bon, et si je coupais plus longtemps dans les boniments des rabâcheurs de patrenôtres, — je serais volé, mille bombes ! »

Je ruminais ça, à l’époque, sans bien savoir au juste ; j’ai vu depuis que j’avais tout à fait raison.

Puis, j’ai avalé tous les bouquins qui me tombaient sous la patte, anciens et nouveaux.

Je gobais que la vie était pareille à ce que je lisais. Les romanciers de mon époque, c’étaient Alexandre Dumas, Victor Hugo, Eugène Süe ; et je voyais partout des d’Artagnan, des Rodin, des Esmeralda faisant danser leurs chèvres.

Je chantais la Lisette de Béranger, croyant que c’était arrivé ; et je me disais avec ce blagueur :

Dans un grenier qu’on est bien à vingt ans.

Je t’en fiche : j’aime autant l’entresol !

C’était encore de l’illusion que je me foutais dans la bouillotte. La vie réelle, C’est pas ça !

Ah, les romans ! C’est une deuxième religion qui nous empoigne quand nous avons échappé à la première.

Quand donc, nom d’un pétard, qu’on viendra à l’éducation vraie et naturelle, qui nous montrera la vie telle qu’elle est, — et nous empêchera de prendre les vessies pour des becs de gaz !

Les grandes pommades dans lesquelles j’ai coupé épatamment, ce sont celles de la politique.

Aujourd’hui, j’en ai plein le dos ; j’en ai soupé et pour de bon, — ça n’a pas toujours été pareil, j’ai été gobeur comme les copains, — plus gobeur qu’eux.

Et c’est seulement à force de me voir toujours roulé, toujours foutu dedans par les uns et les autres que j’en suis arrivé où je suis.

Comme de juste, j’ai d’abord été pour le gouvernement : à l’époque c’était l’empire. On racontait que l’empereur était un bon fieu, qu’il aimait le peuple et voulait son bien, et dam, je le croyais !

Il était le gouvernement ; conséquemment il avait raison, — ce que disaient les rouges était des menteries.

La République, nom de dieu, j’en avais un trac insensé.

C’est alors que j’ai fait la connaissance d’une vieille barbe de 48 ; il m’a décrassé un peu, le bougre !