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bouillées de mouscaille suit, plus mort que vif, le caporal, et s’en va ruminer à la boîte sur le boniment de La Fontaine :

La raison du plus fort est toujours la meilleure !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Heu, heu ! C’est y bien vrai, ça ?

Le plus fort, c’est y le commandant, ou bien les centaines de types qu’il fait marcher à la baguette ?

Foutre de foutre ! S’ils voulaient, en deux temps et trois mouvements, les agneaux écharperaient les soi-disant loups.

Ils n’en feraient qu’une bouchée, tonnerre de brest !


LES BONS BRIGANDS FIN-DE-SIÈCLE

Dans l’ancien temps l’origine des fortunes s’apercevait mieux qu’aujourd’hui. Les bons bougres qui s’avisaient de réfléchir savaient que les seigneurs et les ratichons ne devaient leur saint-frusquin qu’au chapardage et aux invasions.

Les gas dont le cœur battait ferme entre les côtes se foutaient en révolte. Formés en bandes, toujours prêtes aux coups de torchon, ils dévalisaient les diligences, ratiboisaient le pognon de l’État, déquillaient les gendarmes, s’emparaient des villes.

C’était les bandits ! Aussi bons fieus pour les mistoufliers, que rosses avec les grosses légumes, ils distribuaient aux pauvres gens une bonne part des richesses qu’ils escamotaient aux matadors.

Turellement, le populo les avait à la bonne !

Pas de danger qu’un campluchard dénonçât leur gîte. Au contraire, il leur faisait signe quand la maréchaussée manigançait une salopise contre eux.

Des bandits, chez les Angliches y en a eu des tripotées, et c’est à force de crapuleries que la gouvernance, aidée des curés, a fait disparaître cette bonne graine. Y a des quantités de goualantes, là bas, qui vantent les coups de main de Robin Hood.

Celui-là perchait dans les forêts. Ses flèches pointues piquaient le lard des seigneurs. Il avait de belles cordes pour pendre les richards et des trucs épatants pour piller les châteaux.

En France, aussi, on a vu des zigues pareils : Mandrin, Cartouche, etc… On connaît leur histoire. On sait la frousse qu’ils foutaient aux richards, et combien ils étaient dans les papiers du populo.

Mandrin partout est devenu légendaire. Le Dauphiné, le Lyonnais, l’Auvergne, la Provence ont été le théâtre de ses riches coups… Mais, à côté de celui-là, y a dans chaque patelin un bandit dont on raconte les hauts faits à la veillée.

Que je dise aux aminches, une histoire que j’ai entendue dans les montagnes de l’Auvergne, au temps où je trimardais :

En ce temps là, y avait entre le village en question et la ville, à un endroit tout à fait désert appelé « les Foulanges », un voleur à la coule, qui foutait le trac aux richards.

Les gendarmes étaient toujours à ses trousses, sans jamais l’arquepincer.

Voilà qu’un jour de marché, une vieille bonne femme ayant eu des histoires avec un homme d’affaires, allait à la ville abouler à ce sale type, gros richard du pays, 63 francs et quelques sous.

Ces 63 balles, elle les avait déjà payées ; malheureusement, elle avait perdu le reçu, et le richard qui était un homme d’ordre, profitait de l’occase pour la faire casquer une seconde fois.

Il lui avait fallu, à la pauvre femme, en vendre des douzaines d’œufs, pour empiler 63 pièces de vingt sous ! Enfin, elle y était arrivée, en se privant de tout, en ne s’achetant pas la moindre bricole : aussi elle était dépenaillée, que ça faisait pitié.

Sur la route, elle rencontre un type qui allait aussi au marché. Dam, la vieille et l’homme se foutirent à jacasser.

Je suis bien contente de vous trouver, pour faire chemin ensemble, qu’elle dit en patois. Car, voyez-vous, j’ai peur que le voleur des Foulanges me prenne mes 63 francs : demain on vendrait ma maisonnette, mes poules et mes deux brebis. Il me faudrait mendier et