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Page:Pérochon-Le Chemin de plaine.djvu/190

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caser des rêvasseries douteuses à travers les plus sévères gloses.

Sevrés d’aventures, nous nous rattrapions en paroles. N’est-ce pas précisément Évrard, Évrard le poète, l’emballé, le buveur de bleu qui avait réalisé ce tour de force de mettre en vers fort libres un à peu près mathématique rappelant la résolution des équations à deux inconnues ?

Je me rappelle plus nettement encore qu’un soir, un élève parodiant cet empereur romain qui rêvait de faire tomber toutes les têtes d’un coup, un élève parodiant, dis-je, ce sale type des sales types, lança d’une voix lente et forte, dans le grand silence de l’étude, une phrase… une phrase énorme, digne du latin de Sanchez ou de saint Liguori.

L’élève, auteur de cette laide hâblerie, eut un succès fou. Cet élève… c’était moi.

Je ne note pas ce souvenir pour en tirer une vanité rétrospective, mais pour mesurer la distance qui sépare le candide potache de l’amoureux d’aujourd’hui.

Ma fameuse formule a vite perdu sa portée générale. Elle s’est amincie, elle s’est vidée. À mesure que j’ai avancé en âge, que ma prudence a mûri, que mon goût s’est formé, j’en ai peu à peu retranché de nombreuses unités : femmes de joie, femmes vieillies, femmes négligées, femmes d’amis, toutes sortes d’indésirables amoureuses. Naguère, il y a à peine six mois, je n’espérais que l’amour des ber-