l’aurais cru. Le temps passe ; chaque jour efface un peu… Déjà je songe sans émoi aux comparses : Mme Olivet, M. Michaud, M. Godard, Maurice. Celui-ci, je l’ai revu, et, par une de ces maladresses si stupides qu’on pourrait les croire fatales, je l’ai fâché. Sa femme est morte d’un chaud et froid attrapé au chef-lieu, un jour qu’elle allait voir sa « marraine ». Il y a cinq ans de cela, mais Maurice est toujours inconsolable ; et comme il est bavard, il se répand en imprécations emphatiques contre la Providence et contre lui-même, le pauvre bon garçon !
Un jour qu’il célébrait les mérites supposés de l’épouse disparue et qu’il me disait :
— Que veux-tu que je fasse, maintenant ? ma peine me suit par tout pays…
J’achevai distraitement :
— …Y compris la Suède et la Norvège.
Il ouvrit de grands yeux et s’en alla sans me tendre la main. Il ne me pardonnera jamais. Pauvre ami !
Comment diable ai-je pu parler de la sorte ? Une gaffe, quoi ! une gaffe irréparable.
J’en ai commis bien d’autres Je me pardonne encore celle-là. Indulgent pour les autres, je le suis aussi pour moi.
Je n’étais pas ainsi autrefois. Hé ! Hé ! il fallait marcher droit ! Ne comparais-je pas mon âme à une tablée de forts en gueule ?