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Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/147

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À midi, quand les hommes revinrent des champs, Lucien mangea avec eux. Lucien s’assit entre Séverin et le dernier des Chauvin, Florentin, un jeune de vingt ans, blond et court avec des mains énormes. Il se sentit fier de les tutoyer tous, et surtout d’être tutoyé par eux ; il s’appliqua à oublier ses gestes menus d’homme bien élevé et il imita leur pose simple. L’heure du repas étant aussi leur temps de repos, ils mangeaient lentement, la tête basse, accotés solidement des deux coudes ; leur main droite bougeait à peine pour remuer la cuiller de fer chargée de gros copeaux de croûtes. Ils parlaient peu, à l’exception de Florentin, qui racontait une histoire de régiment marquée par son frère sur sa dernière lettre. Les deux filles mangeaient debout près de la cheminée.

Elles voulurent mettre des assiettes pour le fricot en l’honneur de Lucien ; mais il se fâcha, fit mine de se lever de table. Il n’était pas venu là pour donner de la peine, il voulait manger comme les autres, sans cérémonie. Se coupant un quignon de pain, il trempa la première bouchée dans le plat de fressure qu’Henriette venait d’apporter.

L’année d’avant, le soldat, prenant un congé d’un mois, avait voulu faire prendre aux siens l’habitude de garder les assiettes après la soupe ; le père, qui n’était cependant pas pour les choses nouvelles, avait consenti ; mais, à l’usage, on s’était aperçu que le fricot se tenait moins chaud, et surtout filait plus vite ;