jamais quitté leur paroisse, des anciens qui ne reviendraient pas. Ceux-ci laissaient tout leur cœur au pays et partaient navrés.
Et l’on disait depuis quelque temps que certains de ces émigrants avaient prospéré : des valets gagnaient des prix étonnants, d’anciens va-nu-pieds roulaient en voiture.
Des contes, tout cela, sans doute. Le père Chauvin ne faisait qu’en rire. En entendant parler son pars, il secoua la tête :
— Arrive que pourra, je reste ici ; notre pays vaut les autres.
— Sans doute, reprit Lucien, mais vous avez tort de vous moquer de ceux qui sont partis ; ils vous ont sauvé la vie, car il y avait trop de bras par ici. J’y suis allé l’an dernier, dans les Charentes ; j’ai vu les gens de chez nous aux foires de Saint-Jean, d’Aulnay, de Matha ; eh bien ! il y en a qui ont réussi. On raconte sans doute des fables là-dessus, mais il est tout de même sûr qu’ils n’ont rien perdu, puisqu’ils sont partis presque tous sans le sou… et encore une fois on en voit de cossus qui marient leurs filles aux gars de là-bas. Et c’est vrai aussi que, dans ces pays, on travaille moins qu’ici et qu’on boit du vin dans les métairies.
— Ta ta ta ! des menteries…
— Mais non ! comprenez bien ! Là-bas, ils n’ont pas de grandes familles, on dirait qu’ils ne savent plus faire d’enfants…
– Va leur montrer le truc. Séverin ! interrompit le second valet, qui n’avait encore rien dit.