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Page:Pérochon - Les Hommes frénétiques, 1925.djvu/25

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HARRISSON LE CRÉATEUR

excitée par cette dose légère de poison, elle riait de tout, les yeux brillants, le sang aux joues, inquiétante et jolie.

Une simplicité archaïque régnait à la table d’Avérine, et les deux étrangers, habitués au luxe des caravansérails modernes, n’en croyaient pas leurs yeux.

La chère, toutefois, était abondante et saine. Sauf pour les légumes améliorés aux arômes très fugaces, que l’on préparait sous pression, à basse température, on s’en tenait, chez Avérine, aux vieilles traditions de la cuisine française.

Les fruits couvraient la table. Les fruits étaient d’ailleurs un luxe permis aux plus humbles. En tout pays, ils arrivaient des quatre coins du monde. Chez Avérine, on prisait surtout les fruits indigènes de saison que fournissaient les riches vergers du voisinage, fruits énormes au coloris éclatant, aux parfums si variés et si suaves que l’ingéniosité des chimistes ne parvenait pas encore à les imiter parfaitement.

Et c’étaient non seulement les fruits appréciés des anciens, mais des espèces nouvelles, obtenues par des procédés de sélection ultra-rapides qui aboutissaient à des résultats merveilleux en quelques générations seulement.

Presque tous les fruits sauvages, les baies les plus insipides, les plus âcres, avaient attiré l’attention des horticulteurs. Les baies vénéneuses même étaient devenues de lourds fruits savoureux, vite recherchés par les gourmets. La baie de l’aubépine, celle de la douce-amère, le fruit de l’églantier, la pomme de pin, le marron d’Inde figuraient sur les meilleures tables tout aussi bien que chez les petites gens. Depuis une semaine, Harrisson, que ses travaux occupaient au point de lui faire oublier les repas, n’avait vécu que de faînes au fond de son laboratoire.

Ce soir-là, au contraire, le savant, tout à la joie