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S. Augustin. Parce que, pour qui porte son mal avec soi, le changement de lieu est un surcroît de fatigue et non un moyen de guérison. On peut donc te dire en propres termes ce que Socrate répondit à un jeune homme qui se plaignait de ce qu’un voyage ne lui avait pas profité : Tu voyageais avec toi[1]. Il faut d’abord secouer le vieux fardeau de tes passions, préparer ton âme, et après cela fuir : car il est démontré que, non seulement au physique, mais au moral, si le patient n’est pas disposé, la vertu de l’agent est inefficace. Autrement, irais-tu jusqu’au fond des Indes, tu reconnaîtras toujours qu’Horace a eu raison de dire : Ceux qui courent au delà des mers changent de climat et non d’âme[2].

Pétrarque. Je suis très embarrassé. En m’indiquant les moyens de soigner et de guérir mon âme, vous me dites qu’il faut d’abord la soigner et la guérir, et ensuite fuir. Or, je ne sais comment il faut la guérir ; car si elle est guérie, que veut-on de plus ? Si au contraire, elle ne l’est pas, à quoi sert le changement de lieu ? Ce que vous ajoutez n’est point utile. Dites-moi nettement quels remèdes il faut employer.

S. Augustin. Je n’ai pas dit qu’il fallait soigner et guérir ton âme, mais la préparer. Du reste, ou elle sera guérie et le déplacement pourra lui conserver une santé durable, ou elle ne sera pas encore guérie, mais seulement préparée, et le déplacement

  1. Sénèque, Lettres, XXVIII.
  2. Épîtres, I, II, 27.