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elle aima mieux me lâcher que me suivre. » Et après un tel aveu, voici les paroles qu’il met dans la bouche de saint Augustin : « Tu as donc eu parfois des convoitises honteuses, ce que tu niais tout à l’heure[1]. »

M. Anatole France, dans son étude si documentée sur Elvire, une sœur de Laure, a soulevé d’une main discrète le voile mystérieux qui enveloppait les deux amants. Suivant d’un œil malin les marches et les contremarches, les sièges et les assauts de cette tactique amoureuse, par une de ces antithèses chères à Pétrarque, il l’a baptisée de son vrai nom : « la chasteté lascive[2] ».

Pétrarque fut mieux partagé du côté de la gloire. Aucun écrivain ne fit plus de bruit ans son siècle et ne recueillit plus d’ovations. Ses Sonnets étaient répétés à l’envi dans toute l’Europe. Mais ce succès, si prodigieux qu’il fût, n’était pas de nature a satisfaire son ambition. Loin d’en être fier, il en rougissait. Ses visées étaient plus hautes. Il voulait renouer la chaîne interrompue des traditions de la littérature latine, dépositaire éternelle du beau. Déjà tout enfant, sans en comprendre le sens, son oreille savourait l’harmonie de la phrase dans Cicéron. Lui qui avait tant contribué au perfectionnement de sa langue maternelle, il l’abdiqua en quelque sorte et n’écrivit plus qu’en latin. Cicéron, Virgile, Sénèque, saint Augustin furent ses éducateurs et ses guides. Passionné pour les anciens, il en chercha partout les épaves avec une infatigable persévérance et nous lui devons la découverte de plus d’un monument précieux de

  1. Mon Secret, dialogue III.
  2. L’Elvire de Lamartine, p. 60.