Page:Pétrarque - Poésies, 1842, trad. Gramont.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

178 loin et retrace à mes yeux celle qui naquit seulement pour me faire mourir, parce que j'ai trouvé trop de plaisir en elle, comme elle a fait elle-même. Je ne sais pas quel espace le ciel m'a donné à parcourir, alors qu'au commencement je suis venu sur la terre pour souffrir la cruelle guerre que j'ai su ourdir à l'encontre de moi-même, et je ne puis, à cause du voile charnel, pré- voir le jour qui termine la vie ; mais je vois mes cheveux s'altérer et tous mes pensers changer intérieurement. A présent que je crois être près de l'instant du départ ou n'en être guères éloigné, semblable à celui que la perte a rendu prudent et sage, je m'en vais repensant où j'ai laissé la route située à main droite et qui mène au bon port; et tandis que d'un côté me point la honte et la douleur qui me font retourner en arrière, de l'autre je suis toujours en- travé par un plaisir à qui l'habitude a donné tant de puis- sance sur moi, qu'il m'enhardit à traiter avec la Mort.

Chanson, je suis ici, et la frayeur m'a rendu le cœur beaucoup plus froid que la neige gelée; car je me sens périr sans aucun doute; aussi, en réfléchissant, j'ai roulé sur l'ensuble la plus grande partie de ma courte toile; et jamais il n'y eut de fardeau aussi lourd que celui que je supporte en cet état, puisque, avec la mort à côté de moi, je cherche une nouvelle direction à donner à ma vie, et, tout en voyant la meilleure, c'est la pire que je suis.