Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/316

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du manteaux qui les recouvre. Je le soulève… Grands dieux, que vois-je ? ô prodige ! quelle péripétie ! Quand déjà je me regardais comme un hôte de Proserpine, comme un commensal des enfers, tout à coup la scène change, et je reste stupéfait : les mots ne sauraient exprimer une pareille métamorphose. Mes trois victimes n’étaient autres que trois outres gonflées d’air. Leurs flancs portaient des marques de perforation qui répondaient exactement, si ma mémoire était bonne, aux blessures que j’avais faites aux trois bandits. L’hilarité, que les meneurs de cette mystification avaient jusque-là tant soit peu contenue, fit alors explosion. Ce fut un débordement frénétique, des convulsions de rire à s’en tenir les côtes à deux mains. Enfin, après s’en être donné à cœur joie, la foule évacua la salle ; mais chacun, avant de sortir, se retournait encore pour me regarder.

Moi, depuis le moment où j’avais soulevé le linceul, j’étais resté immobile et glacé comme un marbre, et je ne bougeais non plus qu’une des colonnes ou qu’une des statues du théâtre. Je ne sortis de cette léthargie qu’au moment où mon hôte Milon vint s’emparer de moi pour me ramener. Je résistai ; les larmes se firent jour de nouveau, et j’éclatai en sanglots. Ce ne fut qu’en me faisant doucement violence qu’il parvint à me faire sortir. Pour rentrer au logis, il choisit les rues les moins fréquentées, et prit plusieurs détours. Il me disait tout ce qu’il croyait propre à calmer mes nerfs et à combattre mon chagrin ; mais rien n’y faisait. J’étais ulcéré de m’être vu bafoué si indignement. Tout à coup les magistrats eux-mêmes se présentent, et les voilà qui m’adressent une réparation en ces termes : Seigneur Lucius, nous connaissions votre mérite personnel et votre noble maison. L’illustration de votre famille est notoire dans la province. Croyez qu’aucune pensée d’insulte n’a présidé à la scène de tout à l’heure ; que votre cœur n’en conserve aucun ressentiment : nous célébrons aujourd’hui la fête du dieu du Rire ; et c’est parmi nous à qui s’ingéniera pour rajeunir cet anniversaire. Le dieu, qui vous a été si redevable en ce jour, veut que partout sa propice influence vous accompagne, et que votre heureuse physionomie soit en tous lieux un signal d’hilarité. La ville, du reste, vous a par acclamation décerné les plus grands honneurs. Elle veut que votre nom soit inscrit au nombre de ses grands personnages, et que le bronze lui conserve le souvenir de vos traits.

À ce discours, je répondis : Je reconnais, comme je le dois, l’immense honneur que me fait une ville, la fleur et la perle de la Thessalie. Mais quant à des images, à des statues, réservez un tel témoignage pour qui les mérite mieux que moi. Après cette modeste réplique, mon front commençant à se dérider, je me donnai de mon mieux l’air agréable ; et les magistrats, en prenant leur congé, ne trouvèrent chez moi que politesse et aménité.

Un valet arrive alors tout courant, et me dit : Vous avez promis à votre parente Byrrhène d’être aujourd’hui de son souper. L’heure approche ; je vous prie de n’y pas manquer. À ces mots, un frisson me saisit. Je voudrais bien, répondis-je, me rendre aux ordres de ma mère ; mais un engagement sacré s’y oppose. Mon hôte Milon