Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/330

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ment nous nous y primes pour en assurer le succès. Nous avions déterré le nom d’un certain Nicanor, Thrace de nation, avec qui Démocharès était, disait-on, en relation intime. Nous fabriquâmes pour ce dernier une lettre où son excellent ami Nicanor lui offrait les prémices de sa chasse, pour contribuer à l’ornement de ses jeux. Et quand la soirée nous parut assez avancée, nous profitâmes de son ombre pour présenter à Démocharès notre Thrasyléon dans sa cage, avec l’épître de notre façon. Notre homme se montra aussi émerveillé de la taille de la bête que ravi du présent dont on le gratifiait si à propos. Il nous fait sur-le-champ compter dix pièces d’or. C’était le fond de sa bourse en ce moment.

Tout ce qui est nouveau attire la foule. Notre ours eut bientôt un cercle d’admirateurs. Mais, par d’adroites démonstrations de férocité, il avait soin de tenir les curieux à distance. On ne s’entretenait dans la ville que de l’heureuse étoile de Démocharès, que cette bonne aubaine dédommageait du désastre de sa ménagerie, et mettait en mesure de faire face à tout. Mais voici Démocharès qui tout à coup donne l’ordre d’emmener l’ours dans une de ses terres, en recommandant le plus grand soin dans le transport. Il n’y avait pas à barguigner. Seigneur, lui dis-je bien vite, cette bête est déjà fatiguée de la chaleur et du long voyage qu’elle vient de faire ; je ne tous conseille pas de la mettre en contact avec les autres ours, qui sont assez mal portants, dit-on. Que ne lui assignez-vous ici quelque emplacement assez vaste, bien aéré, dans le voisinage des bois et de l’eau, s’il est possible ? Ces animaux, vous le savez, hantent de préférence les fourrés et les cavernes humides. Il leur faut l’air frais des collines et des eaux pures. Démocharès eut peur, il récapitula ses pertes, fut docile à l’avis, et nous permit de placer la cage à notre guise. Disposez de nous tous, ajoutai-je, pour passer la nuit devant la cage. L’animal a souffert de la chaleur et de la contrainte ; avec nous qui connaissons ses besoins, il aurait plus sûrement sa nourriture à propos, et à boire à ses heures. Il est inutile que vous preniez cette peine, répondit Démocharès ; les gens de cette maison sont tous rompus au service des ours. Là-dessus nous nous inclinons, et nous voilà partis.

Nous sortîmes des portes de la ville, et, assez loin de la route, nous aperçûmes un cimetière dans une position reculée et hors de vue. Il s’y trouvait quantité de cercueils minés par le temps, et dont la décrépitude laissait presque à découvert des ossements qui n’étaient déjà plus que cendre et poussière. Nous en ouvrîmes au hasard quelques-uns, que nous destinâmes à receler notre futur butin. Là, nous attendîmes, suivant la règle, le bon moment de la nuit, l’heure où il n’y a pas de lune, et où chacun dort du premier somme, d’ordinaire si fort et si profond. Notre troupe, l’arme au poing, fait déjà faction à la porte de Démocharès. Nul ne manque à l’appel du pillage. De son côté, Thrasyléon, non moins vigilant, sort à point de sa cage, poignarde l’un après l’autre ses gardiens à moitié assoupis, dépêche également le portier, s’empare de la clef et ouvre les deux battants. On n’eut garde de s’amuser à la porte ; nous voilà dans la maison. Il nous