Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/334

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

même lit. Plus tard, unis des saints nœuds de l’affection la plus tendre, nous nous étions mutuellement engagé notre foi par une promesse de mariage. Déjà le titre de mon époux lui était conféré par l’aveu de ma famille et par les actes publics. Entouré d’un nombreux cortège de parents et d’alliés, il préludait à notre union, en offrant dans tous les temples des sacrifices aux dieux. Notre maison, tapissée de laurier, resplendissait des feux, résonnait des chants d’hyménée. Ma pauvre mère, tenant sa fille sur ses genoux, ajustait ma parure nuptiale, couvrait mon front de baisers, et déjà, au gré de ses vœux ardents, se voyait renaître en espoir dans une postérité nombreuse ; quand l’irruption soudaine d’une troupe de gens armés tout à coup fait briller à nos yeux des épées nues, et effraye toute la maison par les démonstrations les plus menaçantes. Ils s’abstiennent toutefois de tuer ou de piller ; mais, formés en colonnes serrées, ils se précipitent dans notre appartement. Aucun des nôtres ne songe à les repousser, ou seulement à se mettre en défense. Éperdue et tremblante, je m’évanouis sur le sein de ma mère. Ils vinrent m’en arracher. C’est ainsi que comme celles d’Athrax et de Protésilas, nos noces se changèrent en une scène de trouble et de désolation.

Tout à l’heure un songe affreux renouvelait pour moi ces images cruelles, et mettait le comble à mon désastre. Je me voyais arrachée violemment de la maison, de la chambre et même du lit nuptial. On m’entraînait dans un affreux désert, et j’implorais à grands cris le nom de mon époux infortuné. Lui, il ne s’aperçoit pas plutôt de mon enlèvement que, tout couvert de parfums, et la couronne de fleurs encore sur la tête, il se met à courir après moi qu’on emportait. Désespéré du rapt de sa femme, il implorait à grands cris le secours de la force publique, quand un des ravisseurs, outré de cette poursuite opiniâtre, ramasse un énorme pavé, et en frappe mortellement mon jeune et malheureux époux. Le saisissement que m’a causé ce rêve épouvantable a mis fin à mon funeste sommeil.

La vieille alors, entrant dans son chagrin, lui parle ainsi : Courage, maîtresse ! ne nous laissez pas aller aux vaines terreurs un songe. Les images produites par le sommeil du jour sont, dit-on, tout-à-fait insignifiantes ; et le plus souvent, des rêves que l’on fait la nuit, c’est le contre-pied qu’il faut prendre. Pleurer, être battu et quelquefois être assassiné, c’est présage de gain et de réussite ; tandis que rire, se bourrer de friandises, goûter le plaisir d’amour, sont tous signes de chagrin, de maladie, ou de quelque autre mésaventure. Tenez, laissez-moi vous distraire par quelque récit intéressant : je sais plus d’un conte de bonne femme. Et elle commence ainsi :

Il y avait une fois un roi et une reine qui avaient trois filles, toutes trois fort belles. Mais pour la beauté des deux aînées, quelque charmantes qu’elles fussent, on n’était pas en peine de trouver des formules de louange ; tandis que celle de la cadette était si rare, si merveilleuse, qu’il y avait dans le langage humain disette de termes pour l’exprimer, ou même pour la louer dignement. Habitants du pays ou étrangers, que la curiosité de ce prodige attirait en foule, en perdaient l’esprit, dès qu’ils avaient