Aller au contenu

Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/343

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

crétion. Ordonnez seulement à notre Zéphyr de me prêter encore son ministère ; et, ne pouvant jouir de votre divine image, que j’aie du moins la consolation de voir mes sœurs. Je vous en conjure par les boucles flottantes et parfumées de votre chevelure, par ces joues charmantes, non moins délicates que les miennes ; par cette poitrine qui brûle de je ne sais quelle mystérieuse chaleur. Un jour les traits de cet enfant me révéleront ceux de son père ; mais qu’aujourd’hui j’obtienne de vous d’embrasser mes sœurs. Accordez cette faveur à mes instances, et comblez d’une douce joie le cœur de cette Psyché aussi dévouée qu’elle vous est chère. Désormais je ne vous parle plus de votre visage : les ténèbres n’ont plus rien qui m’importune ; vous êtes ma lumière, à moi. Elle dit, et en même temps lui prodigue les plus douces caresses. Le charme opère. L’époux, de ses propres cheveux, essuie les larmes de sa Psyché, et s’évanouit encore de ses bras, avant que le jour n’ait paru.

À peine débarqué, le couple conspirateur, sans visiter père ni mère, va droit au rocher, en franchit la hauteur d’une traite ; et toutes deux, au hasard de ne pas trouver de vent pour les porter, se lancent aveuglément dans l’espace : mais Zéphyr est là, prêt à exécuter, bien qu’à contrecœur, les ordres de son maître. Son souffle les reçoit, et les dépose mollement sur le sol de la vallée. Aussitôt elles précipitent leurs pas vers le palais. Elles embrassent déjà leur proie, et la saluent effrontément du nom de sœur ; elles l’accablent de cajoleries : Psyché n’est pas une petite fille à cette heure ; la voilà bientôt mère. Sais-tu ce que nous promet cette jolie petite rotondité ? Quelle joie pour notre famille ! oh ! que nous allons être heureuses de choyer ce petit trésor ! Si (ce que nous ne pouvons manquer de voir) sa beauté répond à celle des auteurs de ses jours, ce sera un vrai Cupidon. Enfin elles jouent si bien la tendresse, qu’insensiblement le cœur de Psyché se laisse prendre à la séduction.

Elle les fait asseoir, pour reposer leurs jambes de la fatigue du voyage. Puis, la vapeur d’un bain chaud ayant achevé de les remettre, elle leur fait servir sur une table magnifique les mets les plus recherchés et les plus exquis. Psyché veut un air de lyre, et les cordes vibrent ; un air de flûte, et la flûte module ; un chœur de voix, et les voix de chanter en partie. Aucun musicien n’a paru, et les oreilles sont charmées par la plus suave harmonie : mais l’âme des deux mégères est à l’épreuve des attendrissements de la musique, et elles n’en songent pas moins à enlacer leur sœur dans leurs traîtres filets. Avec une indifférence apparente, elles lui demandent quel air a son mari ? quelle est son origine et sa famille ? La pauvre Psyché avait oublié sa réponse précédente ; elle fit un nouveau conte. Son mari était d’une province voisine ; il faisait valoir par le négoce un capital considérable ; c’était un homme de moyen âge, et dont les cheveux commençaient à grisonner. Là-dessus, coupant court à toute information, elle les comble de nouveau des plus riches présents, et leur fait reprendre leur route aérienne.

Tandis que la douce haleine de Zéphyr les voiturait vers leurs demeures, les deux sœurs s’en-