Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/345

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vement je n’ai jamais vu mon époux ; je ne sais d’où il vient ; sa voix ne se fait entendre que la nuit ; il ne me parle qu’à l’oreille ; il fuit soigneusement toute lumière. C’est quelque monstre, dites-vous ? je n’hésite pas à le croire ; car il n’est peur qu’il ne me fasse de sa figure et des terribles conséquences de ma curiosité, au cas où je chercherais à le voir. Si votre assistance peut conjurer un tel danger, ah ! ne me la refusez pas. Que sert de protéger, si l’on ne protège jusqu’au bout ?

Les deux scélérates voient la brèche ouverte. Elles démasquent alors leur attaque, se ruent sur le corps de la place, et exploitent à force ouverte les terreurs de la simple Psyché. L’une d’elles lui parle ainsi : Il s’agit de te sauver. Les liens du sang nous obligent à fermer les yeux sur nos propres périls. Un seul moyen se présente ; nous l’avons longtemps médité. Écoute ; prends un poignard bien aiguisé, donne-lui le fil encore, en passant doucement la lame sur la paume de ta main ; puis va le cacher soigneusement dans ton lit, du côté où tu te couches d’ordinaire. Munis-toi également d’une petite lampe bien fournie, afin qu’elle jette plus de lumière. Tu trouveras bien moyen de la placer inaperçue derrière le rideau. Tout cela dans le plus grand secret. Il ne tardera pas à venir, traînant sur le plancher son corps sinueux, prendre au lit sa place accoutumée. Attends qu’il soit étendu tout de son long, et que tu l’entendes respirer pesamment, comme il arrive dans l’engourdissement du premier sommeil : alors glisse-toi hors du lit, et va, sans chaussure, à petits pas, et sur la pointe du pied, tirer ta lampe de sa cachette. Sa lueur te servira à bien prendre tes mesures pour mettre à fin la généreuse entreprise. Saisis alors l’arme à deux tranchants, lève hardiment le bras, frappe le monstre sans hésiter à la jointure du cou et de la tête, et tu feras de son corps deux tronçons. Notre assistance ne te manquera pas. Aussitôt que par sa mort tu auras opéré ta délivrance, nous serons à tes côtés. Nous t’emmènerons avec nous, sans oublier toutes ces richesses, et, par un hymen de ton choix, nous t’unirons, toi créature humaine, à un être qui soit de l’humanité.

Quand elles crurent avoir assez attisé le feu dans le cœur de Psyché par ce langage incendiaire, elles se hâtent de s’esquiver, redoutant fort pour leurs personnes la proximité du théâtre de la catastrophe. Elles font, comme à l’ordinaire, l’ascension du rocher sur les ailes du vent. Puis, courant à toutes jambes vers leur vaisseau, elles s’embarquent, et quittent le pays.

Psyché reste livrée à elle-même, c’est-à-dire obsédée par les Furies. Le trouble de son cœur est celui d’une mer orageuse. Son dessein est arrêté, elle s’y obstine ; et ses mains déjà s’occupent des sinistres préparatifs, que son âme doute et flotte encore. Les émotions s’y combattent : Tour à tour elle veut et ne veut pas, menace et tremble, s’emporte et mollit. Pour tout dire en un mot, dans le même individu elle déteste un monstre, elle adore un époux. Cependant le soir est venu ; la nuit va suivre. Elle s’occupe à la hâte des préliminaires du forfait.

Il est nuit. L’époux est à son poste. Il livre un