Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/350

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d’exhaler sa bile. Elle est accostée par Junon et Cérès, qui, la voyant le teint allumé, lui demandent pourquoi ce sourcil froncé qui obscurcit le brillant de ses yeux. Je vous rencontre à propos, leur dit-elle : la colère pourrait me porter à quelque excès ; mais, je vous en conjure, aidez-moi de tous vos efforts à retrouver cette Psyché qui s’est enfuie, envolée je ne sais où ; car vous n’en êtes pas à apprendre le scandale de ma maison, et les hauts faits de celui que je ne veux plus appeler mon fils.

Les deux déesses, bien instruites de l’aventure, essayent d’apaiser la grande colère de Vénus. Mais, madame, qu’a donc fait votre fils, pour motiver cet acharnement contre lui, et cette hostilité si violente contre celle qu’il aime ? Où est le crime, s’il vous plaît, de faire les yeux doux à une jolie fille ? Vous n’ignorez pas qu’il est garçon sans doute, et, de plus, grand garçon ? Auriez-vous oublié la date de sa naissance ? ou, parce qu’il porte si gentiment ses années vous obstinez-vous à le voir toujours enfant ? Vous, sa mère, vous, femme de sens, vous iriez d’un œil curieux épier ses amusements, lui faire un crime de ses petites fredaines, contrecarrer ses amourettes, et condamner enfin, dans ce beau jouvenceau, vos propres gentilles pratiques, et les doux passe-temps que vous ne vous refusez pas ? Singulière prétention, d’aller semant l’amour partout, et de le prohiber dans vos domaines ! d’exclure vos enfants du droit commun de prendre part aux faiblesses du beau sexe ! Ah ! l’on ne vous la passera pas, ni au ciel, ni sur la terre. Ainsi les officieuses déesses prennent la défense de l’absent, dont elles redoutent les flèches ; mais Vénus, qui n’entend pas raillerie sur les torts dont elle se plaint, leur tourne le dos, et précipite ses pas vers la mer.



LIVRE SIXIÈME.

Psyché cependant allait errant à l’aventure. Jour et nuit elle cherche son époux ; le sommeil la fuit, et sa passion s’en exalte encore. Il s’agit pour elle non plus d’attendrir un époux, mais de désarmer un maître. Au sommet d’une montagne escarpée, elle aperçoit un temple. Qui sait ? dit-elle, peut-être est-ce là le séjour de mon souverain seigneur : et la voilà, oubliant ses fatigues, qui court d’un pas rapide vers ce but de son espoir et de ses vœux. Elle gravit intrépidement la hauteur, et s’approche du sanctuaire. Elle y voit amoncelés des épis d’orge et de froment, dont une partie était tressée en couronne. Il y avait aussi des faux et tout l’attirail des travaux de la moisson ; mais tout cela pêle-mêle et jeté au hasard ; comme il arrive quand l’excès de la chaleur fait tomber l’outil des mains au travailleur fatigué. Psyché s’occupe aussitôt à débrouiller cette confusion, et à remettre chaque chose en ordre et en place, persuadée qu’il n’y a pour elle détail de culte ni observance à négliger, et qu’il n’est aucun dieu dont elle n’ait à se concilier la bienveillance et la pitié.

Tandis qu’elle vaque à ce soin consciencieusement et sans relâche, arrive Cérès la nourricière, qui la trouve à l’ouvrage : Ah ! malheureuse Psyché, s’écria-t-elle, avec un soupir prolongé, Vénus en courroux cherche par tout l’univers la