Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/366

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place. Vous saurez que mes joues, alors imberbes, conservaient encore l’éclat et le poli du teint d’un enfant.

Malgré cet échec, on ne dira pas que j’aie dérogé à la gloire de ma famille, ou manqué à ma propre réputation. Bien que sous le couteau de l’ennemi pour ainsi dire, et peu rassuré par un tel voisinage, j’ai su, à la faveur de mon déguisement, exploiter mainte ferme, et me ramasser une escarcelle de voyage, comme vous le voyez, assez rondelette. Déboutonnant alors ses guenilles, il fait briller à leurs yeux une somme de deux mille pièces d’or. Voici, dit-il, ma bienvenue, ou, si vous aimez mieux, ma dot. Je vous en fais hommage ; et, si vous me voulez pour chef, je m’offre à vous de bon cœur. Laissez-moi faire, et je ne serai pas longtemps à changer en or chaque pierre de ce logis.

On ne fut pas longtemps à l’élire : un suffrage unanime lui décerna le commandement. On apporta des habits un peu plus propres, dont on l’invita à se revêtir. Débarrassé de sa souquenille qui cachait tant de richesses, le nouveau chef en costume donne à tous l’accolade, et, prenant place sur un lit plus élevé que le reste, inaugure son installation par un festin largement arrosé.

On causa beaucoup de la tentative d’évasion de la jeune fille, et le chef apprit quel monstrueux supplice nous était réservé. Il demanda alors en quel lieu on gardait la prisonnière, s’y fit conduire ; et quand il l’eut vue chargée de chaînes, sa figure prit une expression marquée de mécontentement. Je ne veux pas, dit-il à son retour, m’interposer brutalement et à l’étourdie pour empêcher l’exécution de votre décret : cependant ma conscience me reprocherait de ne pas vous faire entendre ce que je crois être une vérité utile. Avant tout, soyez persuadés que ma sollicitude seule pour vos intérêts me fait ouvrir la bouche. Vous serez, d’ailleurs, les maîtres d’en revenir plus tard à votre âne ; mais moi, je pense que des voleurs qui savent leur métier songent au profit avant tout, même avant la vengeance ; il en coûte souvent de s’y livrer. Quand vous aurez donné à cette jeune fille un âne pour tombeau, vous aurez satisfait votre haine eu pure perte. Mon avis est donc qu’il faut mener notre prisonnière à quelque ville, et l’y vendre bel et bien. Fille à cet âge est de bonne défaite. J’ai moi-même parmi les agents de ce négoce telle vieille connaissance qui, si je ne me trompe, achèterait à très haut prix, pour la louer aux amateurs, une poulette de si bonne couvée. Une fois mise en cage, il faudra bien qu’elle renonce à prendre son vol de nouveau ; et, dans le métier qu’elle fera, votre juste colère trouvera satisfaction. Voilà, suivant ma manière de voir, le parti le plus utile ; mais à vous le droit de juger dans vos affaires et de disposer de ce qui vous appartient. C’est ainsi qu’en se constituant l’avocat fiscal des voleurs, ce digne homme plaidait notre cause, et sauvait du même coup fille et baudet.

Longue fut la délibération ; et moi je languissais et mourais à petit feu, attendant l’issue du débat. Enfin le conseil se range à l’avis du nouveau venu. Sur-le-champ on débarrasse la captive de ses liens ; mais celle-ci, au premier coup d’œil jeté sur le jeune chef, et à la simple mention d’agents et de lieux de prostitution, se laissa aller aux plus vives démonstrations d’allégresse ; et moi d’en tirer un texte d’accusa-