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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/368

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mêlait quelque drogue somnifère à la liqueur dont il les abreuvait.

À la fin, depuis le premier jusqu’au dernier, tous gisaient ivres-morts à la disposition de qui voudrait s’en défaire. Alors, sans la moindre peine, mon homme se mit à les garrotter étroitement l’un après l’autre. Et quand ils furent tous accommodés à sa fantaisie, il plaça sa maîtresse sur mon dos, et prit avec elle le chemin de la ville où ils demeuraient. À notre approche, toute la population se porta au dehors, pour jouir de ce spectacle impatiemment attendu. Parents, alliés, clients, valets, serviteurs, se précipitaient à l’envi. Le contentement est dans tous les yeux, la joie dans tous les cœurs. Le cortège était de tout sexe, de tout âge ; mais quelle vue aussi ! le triomphe d’une vierge par le secours d’un âne. Moi aussi je voulus, à ma manière, contribuer à la représentation, et bien constater la part que j’y prenais. Je dressai l’oreille, dilatai mes naseaux, et me mis à braire intrépidement, d’un ton à rivaliser avec le tonnerre.

Voilà la jeune fille rendue à ses foyers et aux caresses des auteurs de ses jours. Tlépolème aussitôt me fait tourner bride, avec grand renfort de bêtes de somme et suivi d’une multitude de ses concitoyens. Je ne demandais pas mieux. Pour un curieux quelle occasion ! on allait mettre la main sur tous ces brigands. Nous retrouvons nos captifs, dont les mouvements étaient enchaînés par l’ivresse plus encore que par les liens. La caverne fut fouillée et vidée de tout ce qu’elle contenait ; on nous chargea d’or, d’argent et d’objets précieux. Quant aux voleurs, ils furent les uns roulés, tout garrottés, jusqu’au bord des précipices voisins, dont on leur fit faire le saut ; les autres, décapités sur place avec leurs propres épées.

Après cette exécution, nous reprîmes en triomphe le chemin de la ville. On déposa au trésor public les richesses reprises, et l’hymen mit Tlépolème en possession légitime de sa conquête. De ce jour, la jeune mariée ne m’appela plus que son sauveur, et ne cessa de montrer la sollicitude la plus tendre pour mon bien-être. Le jour même de ses noces, ce fut elle qui fit remplir d’orge mon râtelier ; par son ordre on me donna en foin la ration d’un chameau de Bactriane. Mais que je maudissais de grand cœur cette Photis de ne m’avoir pas changé en chien plutôt qu’en âne, en voyant la gent canine du logis, moitié rapine, moitié largesse, s’empiffrer des reliefs d’un somptueux dîner !

La jeune épouse n’eut pas plutôt donné une première nuit à l’amour, que sa reconnaissance ne laissa plus de repos ni à mari, ni à parents, qu’elle n’eut obtenu la promesse pour moi du traitement le plus honorable. Un conseil d’amis fut convoqué, et gravement délibéra sur un moyen de me récompenser dignement. On fit la motion de me tenir clos, sans rien faire, et de m’engraisser d’orge choisie, de vesce et de féveroles ; mais un autre opinant fit prévaloir son avis. Il voulait qu’on me laissât la liberté ; que je pusse courir et folâtrer dans les prairies avec les chevaux ; la monte des cavales par un étalon comme moi devant donner pour produit à mes maîtres une race généreuse de mulets.

En conséquence, l’intendant du haras fut mandé, et l’on me remit à ses soins, avec re-