Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/374

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crime compte toujours sur l’impunité, en dépit de la conscience ; mais, au nom de tous les dieux, exécrable bête, à quel niais feras-tu croire que tu ne sois pour rien dans cette horrible catastrophe ? Ne pouvais-tu protéger ce malheureux enfant par tes ruades ? écarter l’ennemi par tes morsures ? Toi, si prompt à lever la croupe contre lui, que ne te montrais-tu aussi dispos pour te défendre ? Du moins pouvais-tu le prendre sur ton dos, et l’enlever à des mains sanguinaires. Tu n’aurais pas fui seul, en désertant ton compagnon, ton guide, ton maître. Ne sais-tu pas bien que qui dénie son secours à un mourant, outrage la morale et encourt la vindicte publique ? Infâme assassin, tu n’auras pas longtemps à te réjouir de mon malheur ; tu vas sentir quelle force peut donner la nature au bras d’une mère au désespoir.

Elle dit ; et, dénouant sa ceinture, elle m’attache les pieds deux à deux, en serrant de toutes ses forces, afin de paralyser en moi la résistance. Puis saisissant la barre qui fermait l’étable, elle m’en frappe à coups redoublés, jusqu’à ce que ses forces la trahissent et que l’instrument du supplice échappe à ses mains par son propre poids. Déplorant alors la faiblesse de son bras qui se lasse si vite, elle court à son foyer, en rapporte un tison ardent qu’elle me fourre entre les cuisses. J’eus recours alors au seul moyen de défense qui me restât. Je dardai au visage et aux yeux de cette mégère certaine déjection liquide qui la mit en fuite, aveuglée et presque asphyxiée. Il était temps. Sans cette ressource extrême, je périssais, Méléagre baudet, victime de cette nouvelle Althée.



LIVRE HUITIÈME.


Le lendemain, au chant du coq, arriva de la ville un jeune homme qui me parut être au service de Charité, ma jeune compagne d’infortune dans la caverne des voleurs. Sa maîtresse était morte, et d’étranges malheurs étaient venus fondre sur cette maison. Voici en quels termes il en fit le récit au coin du feu, devant un cercle de ses camarades. Palefreniers, bouviers et pâtres, leur dit-il, l’infortunée Charité n’est plus : sa fin a été tragique, mais elle n’est pas descendue seule chez les Mânes. Afin de me faire mieux comprendre, je vais remonter à l’origine des faits : pour un plus habile et doué du talent d’écrire, il y aurait un livre à faire de l’aventure que je vais vous conter.

Il y avait à la ville un jeune homme de très bonne famille, d’un rang distingué, et jouissant d’une fortune considérable ; mais gâté par la fréquentation des tavernes, le commerce des filles de joie et l’usage immodéré du vin. Conduit par ces déplorables habitudes à faire société avec des voleurs, il avait pris part à leurs actes de violence, jusqu’à tremper ses mains dans le sang ; on le nommait Thrasylle. Tel était le caractère de l’homme ; sa réputation était à l’avenant. À l’époque où Charité était devenue nubile, il fut des premiers à prétendre à sa main, et il montra