Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/376

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A droite, à gauche, il éventre à coups de boutoir les chiens assez hardis pour le joindre, culbute du premier choc nos toiles impuissantes, et pousse au loin une percée. Nous restâmes terrifiés ; nous n’avions, tous tant que nous étions, vu que des chasses innocentes, et nul de nous n’avait arme ni défense quelconque. Aussi ce fut à qui se blottirait dans le taillis, ou grimperait au haut des arbres.

Le sort servait Thrasylle à souhait. Il pouvait enfin prendre son homme au piège. Voici quel insidieux langage il tint à Tlépolème : Quelle peur nous a saisis ? Allons-nous aussi nous jeter à plat ventre, à l’exemple de cette canaille ? Laisserons-nous en vraies femmelettes une si belle proie s’échapper de nos mains ? Montons à cheval, suivons la trace. Armez-vous d’un épieu ; je prends une lance. Sans plus tarder, les voilà en selle, et suivant l’animal de tout le train de leur monture. Celui-ci, fidèle à son instinct de férocité, tourne et fait tête ; il semble par le mouvement de ses défenses interroger quel ennemi il assaillira d’abord. Tlépolème le premier enfonce son arme dans le dos du monstre ; mais Thrasylle, laissant le sanglier de côté, dirige son coup sur le cheval de son ami, et lui coupe les jarrets de derrière. Le coursier ploie sur ses cuisses en perdant tout son sang, se renverse en arrière, et, malgré lui, désarçonne son cavalier. Le sanglier furieux se rue sur son ennemi abattu, déchire ses vêtements, et l’atteint lui-même d’une blessure profonde au moment où il essaye de se relever. L’excellent ami n’éprouve aucun remords à cette vue sa rage féroce ne sera pas satisfaite à si bon marché. Tandis que le blessé, appelant son compagnon au secours, s’efforce d’étancher ses larges plaies, le traître lui traverse la cuisse droite de sa lance, d’autant plus résolument qu’il compte mettre les coups de sa main sur le compte des dents du sanglier. En attendant, il achève sans peine l’animal.

Ainsi expira notre jeune maître. Nous osons enfin quitter nos retraites, et nous accourons, la mort dans le cœur. Le perfide, au comble de ses vœux et débarrassé d’un rival, dissimule cependant son triomphe. Il compose ses traits, joue le désespoir ; il embrasse le cadavre, triste ouvrage de ses mains, et enfin n’omet aucun des signes d’une profonde douleur, aux larmes près qui ne voulurent pas couler. Il réussit, par ses grimaces, à singer assez bien notre deuil, hélas ! trop réel, et à rejeter sur le sanglier le crime du chasseur.

Le forfait à peine accompli, déjà la Renommée est en marche. Elle frappe d’abord à la maison de Tlépolème, et arrive aux oreilles de sa veuve infortunée. Charité, à cette nouvelle, dont rien pour elle ne peut égaler l’horreur, tombe dans un désespoir frénétique. Comme une bacchante en délire, elle s’élance éperdue sur la place publique, traverse la foule agitée, court au milieu des champs, remplissant l’air de plaintes et de cris inarticulés. Une foule immense la suit, se grossissant de tous ceux qu’elle rencontre. C’est toute la cité qui s’ébranle et qui veut voir. On rapportait le cadavre. Charité le voit ; elle accourt, et tombe sans mouvement sur le corps de son époux,