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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/379

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n’a pas plutôt fait place à l’ombre, qu’il arrive déguisé, suivant les instructions de Charité ; trouve au rendez-vous la nourrice, et, sur les pas de son guide insidieux, se glisse, le cœur palpitant, dans le mystérieux réduit. La vieille, fidèle aux ordres de sa maîtresse, se montre aux petits soins. Elle apporte, d’un air discret, une amphore et des coupes. On avait mêlé au vin une drogue soporifique. Tandis qu’il boit à longs traits, la rusée parle de soins donnés par sa maîtresse à son père malade : c’est la cause qui la retient. La sécurité de Thrasylle est entière, et bientôt il tombe en un sommeil profond.

Voilà Thrasylle étendu sans mouvement, et sa personne livrée à toutes les entreprises. Charité avertie accourt. Ce n’est plus une femme. Elle s’empare de sa proie, en frémissant de rage. Debout près du corps de l’assassin : Le voilà donc, dit-elle, ce fidèle ami ! le voilà cet honnête chasseur ! le voilà ce précieux époux ! c’est là cette main qui répandit mon sang ! ce cœur où tant de trames s’ourdirent pour ma perte ! Ces yeux à qui j’ai eu le malheur de plaire, les voilà faisant connaissance avec les ténèbres, avant-goût de ce qui les attend. Dors bien, berce-toi d’heureux songes ; ce n’est ni le glaive ni le fer qui me feront raison de toi. Aux dieux ne plaise que je t’assimile en rien à mon mari, même par le genre de mort ! Tu vivras, tes yeux mourront ; tu ne verras plus rien, si ce n’est en songe. Douce te semblera la mort de ta victime, auprès de la vie que je t’aurai faite. Dis adieu au jour. Plus un pas pour toi sans une main qui te guide ; plus de Charité, plus d’hymen. La mort, moins le repos ; la vie, sans ses jouissances ; voilà ton lot. Va-t’en errer, douteux simulacre, entre la lumière du soleil et la nuit de l’Érèbe. Vainement chercheras-tu la main qui a détruit ta prunelle ; et, pour combler la mesure de tes maux, tu ne sauras à qui t’en prendre. Moi, du sang de tes yeux, j’irai faire une libation sur le tombeau de mon Tlépolème, et je les offrirai à ses mânes sacrés comme victime expiatoire. Mais chaque instant qui s’écoule me fait tort d’une de tes souffrances. Et peut-être en ce moment rêves-tu le plaisir dans mes bras : elles sont mortelles, mes faveurs ! Allons, passe de la nuit du sommeil à la nuit de ton châtiment. Lève ta face vide de lumière, sens ma vengeance, comprends ton infortune, compte tes souffrances. Voilà tes yeux comme ma pudeur les aime ; ils seront les flambeaux de ta couche nuptiale. Ajoutez-y les Furies pour témoins, et, pour assistants de noces, la cité et l’incessante torture de ta conscience.

Après cette imprécation, elle tire une aiguille à coiffer de sa chevelure, perce de mille coups les yeux de Thrasylle, et ne cesse pas qu’elle ne les ait anéantis. Une incompréhensible douleur dissipe à l’instant chez lui le sommeil et l’ivresse. Charité saisit alors et tire du fourreau l’épée que portait habituellement Tlépolème, et se précipite à travers la ville d’une course furibonde. Sans doute elle médite encore quelque exécution sanglante. Elle va droit au tombeau de son époux. Nous quittons le logis pour la suivre, et toute la ville en fait autant. On s’exhortait l’un l’autre à arracher le fer de ses mains forcenées.

Charité est debout près du cercueil de Tlépolème. De son glaive étincelant elle écarte tout le