Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/392

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avant le jour. Là-dessus, l’un des assaillants me mit la main sur la croupe, et fouillant sans façon jusque dans le giron de la déesse syrienne, en tira la coupe au vu de tous.

Les misérables, loin d’être confondus par l’évidence, osent d’un ris forcé tourner la chose en plaisanterie. Quelle indigne violence ! que l’innocence court de dangers ! Une accusation capitale à des ministres du culte des dieux ! Et cela, pour un mince gobelet, cadeau d’hospitalité, fait par la mère des dieux à sa sœur de Syrie ! Mais ils eurent beau débiter ces sornettes, les paysans leur firent rebrousser chemin. On les jeta, chargés de chaînes, dans le Tullianum du pays. La coupe et même la statue dont j’étais porteur furent, comme objets sacrés, portés au temple et déposés dans le trésor des offrandes. Quant à moi, le lendemain je fus mené au marché et vendu à la criée. Le boulanger d’un village voisin m’acheta sept deniers plus cher que Philèbe ne m’avait naguère payé.

Tout aussitôt mon nouveau maître, qui venait de faire provision de grain, m’en mit sur le dos ma charge, et me mena, par un chemin plein de cailloux et de racines, au moulin qu’il exploitait. Là se trouvaient bon nombre de meules à mécanique, que mainte bête de somme faisait tourner en tous sens. Tant que durait le jour, même la nuit, nul relâche au mouvement de ces machines, et la farine se fabriquait au prix du sommeil. Le patron, pour rendre mon noviciat moins rude, commença par me loger et traiter splendidement, et me laissa chômer le premier jour devant un râtelier copieusement garni ; mais cette heureuse faculté de bien manger et ne rien faire ne dura pas plus d’un jour. Le lendemain de grand matin, je fus attelé à la meule qui semblait la plus grande. On me couvre la face, et je me trouve poussé en avant dans une étroite rainure circulaire, contraint de décrire infiniment le même tour, passant et repassant sur mes propres traces, sans dévier ni arriver.

Je n’oubliai pas en cette occasion ma prudence et ma circonspection habituelles, et n’eus garde de montrer trop de docilité dans ce nouvel apprentissage. Je n’étais pas sans avoir vu fonctionner de ces machines, quand je faisais partie de l’espèce humaine. Mais, tenant à passer pour gauche et pour neuf autant que possible, je demeurais en place, feignant un étonnement stupide. Je me flattais qu’une fois mon inaptitude reconnue en ce genre d’exercice, on me trouverait ailleurs une besogne plus facile, ou qu’on me laisserait tranquille au râtelier ; je fus détrompé à mes dépens : un rang de bras armés de bâtons s’établit autour de moi ; et au moment où j’y pensais le moins, car je n’y voyais goutte, un cri donne le signal, et les coups de tomber comme grêle sur mon échine. Cette évolution déconcerta mes calculs au point qu’à l’instant j’étendis la corde de toute ma force comme si je n’eusse fait autre chose, et je fis lestement plusieurs tours de manège, aux grands éclats de rire des assistants que ce brusque changement d’allure ne divertit pas peu.

Le jour était presque écoulé, et je n’en pouvais plus, quand on me détela pour me ramener à l’écurie. Bien que je fusse sur les dents et que