Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/397

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La vieille n’avait pas achevé ce bavardage, que la boulangère s’écria : Ah ! qu’une femme est heureuse d’avoir un amant si ferme et si sûr de lui ! Quant à celui qui m’est tombé pour mon malheur, tout l’effraye, rien que le bruit de la meule, et jusqu’à ce museau d’âne galeux là-bas. Eh bien ! dit la vieille, je me fais fort de vous arranger un rendez-vous avec l’autre. Il a du cœur et de la tête celui-là ! Et là-dessus elle se retire, promettant de revenir le soir. Tout aussitôt la pudique épouse prépare un vrai repas de Saliens, vins fins bien clarifiés, plats recherchés et bien relevés, en un mot chère exquise de tous points. Puis la voilà attendant son complice, comme elle eût fait quelque dieu. Ce jour-là, fort à propos, son mari soupait en ville chez un voisin, foulon de son métier. Quant à moi, vers midi on m’avait dételé, et laissé tranquillement discuter ma pitance. J’étais heureux, non pas tant de ce moment de relâche, que parce qu’on m’avait débandé les yeux, et que je pourrais enfin ne rien perdre des faits et gestes de ma scélérate de maîtresse.

Le soleil avait enfin disparu sous les flots pour éclairer les régions souterraines du globe, lorsqu’arrivent côte à côte la vieille et le blondin. C’était un tout jeune homme, à peine hors de l’enfance, et bien fait, par la fraîcheur et l’éclat de son teint, pour tenter lui-même les galants. On lui prodigue les baisers. Mais à peine la coupe de bienvenue a-t-elle effleuré ses lèvres, à peine a-t-il senti quel goût a le vin, que survient le mari, que l’on n’attendait guère. La chaste moitié se répand en imprécations, lui souhaite une jambe cassée. L’amant n’a pas une goutte de sang dans les veines. Il se trouvait là un van de bois servant à nettoyer le grain : elle le fait cacher dessous ; puis la madrée, de ce ton d’imperturbable assurance, qui était inné en elle, demande à son mari ce qui le ramène si tôt et d’où vient cette brusque désertion de la table d’un ami.

Ah ! dit le mari soupirant profondément à plusieurs reprises, en homme sérieusement affligé, c’est que la maîtresse du logis a une abominable conduite, et que je n’ai pu y tenir. Une mère de famille, si vertueuse naguère et si rangée, se déshonorer ainsi ! Je le jure par cette divine image de Cérès, j’ai tout vu, et j’ai peine à le croire. La curiosité de sa femme s’allume à ces mots, et l’effrontée n’a de cesse qu’elle ne sache tout le détail de l’affaire. L’époux se rend, et le voilà contant les disgrâces du ménage voisin, sans se douter de ce qui se passe chez lui.

Oui, dit-il, la femme de mon ami le foulon, avec sa vertu sans tache jusqu’à ce jour, et la réputation si bien établie de femme sage et bonne ménagère, n’a-t-elle pas été s’éprendre de je ne sais quel godelureau ? On avait journellement des rendez-vous en cachette. Aujourd’hui même, au moment où, après le bain, nous revenions nous mettre à table, madame était à s’ébattre avec son amoureux. Grande confusion à notre arrivée ; mais elle eut bientôt pris son parti ; et, trouvant une cage d’osier cintrée par le haut, qui servait à étendre le linge pour le blanchir à la fumée du soufre elle fait blottir le godelureau dessous. Puis, le croyant bien caché, elle vient prendre sa place auprès de nous en toute sécurité. Cepen-