Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/399

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Le boulanger toutefois ne s’emut pas autrement de l’affront fait à son honneur. Au contraire, d’un front serein et d’un ton caressant, il rassure le pâle et tremblant jeune homme. Mon garçon, dit-il, tu n’as rien de fâcheux à redouter de moi : tu n’as pas affaire à un barbare, à un de ces hommes qui ne savent pas vivre. Je n’irai pas, comme ce brutal de foulon, t’asphyxier par la vapeur meurtrière du soufre, ni même, comme j’en aurais le droit, appeler sur la tête d’un si gentil mignon les sévérités de la loi d’adultère. Je veux être avec ma femme de compte à demi ; voilà tout. Et point de séparation de biens. J’entends que nous vivions sous le régime de communauté, et que, sans débat, sans tracasseries, nous n’ayons qu’un lit pour trois. Ma femme et moi, nous avons toujours vécu d’accord à ce point que rien ne lui plaît qui ne me plaît pas ; mais c’est raison que la femme ne soit pas mieux traitée que le mari. Tout en l’amadouant ainsi, le narquois menait à sa chambre le jouvenceau, qui ne s’en souciait pas trop, mais n’osait regimber. Il met ailleurs sous clef sa chaste épouse, et, se couchant seul avec son Ganymède, exerce d’assez douces représailles de l’affront fait à son lit.

Mais sitôt que le char brillant du soleil eut ramené le jour, le boulanger appela deux de ses plus robustes valets, et se faisant tenir en l’air le jeune homme en posture, il vous le fustigea vertement avec une férule. Ah ! disait-il, avec cette peau si fine et si jeune tu t’avises de frauder les amateurs, pour courir après les belles ! Et il t’en faut de condition libre encore ! Tu te mêles de troubler les ménages, et de faire des cocus, avant d’avoir barbe au menton ! Après ces propos et d’autres semblables, assaisonnés d’une fessée nouvelle, il fait jeter à la porte mon Adonis Callipyge. Ainsi s’en tira la fleur des galants, la vie sauve contre son attente ; mais tout contrit, et au grand détriment de son train de derrière, qui, tant de jour que de nuit, avait pâti de plus d’une façon. Ce qui n’empêcha pas le boulanger de faire au plus vite déguerpir du logis sa digne compagne.

C’était justice assurément ; mais la dame en fut outrée, et le ressentiment exalta sa perversité naturelle. La voilà qui s’ingénie, et, pour se venger, remue tout l’arsenal de la méchanceté féminine. Elle parvint, après bien des recherches, à déterrer certaine devineresse passant pour faire ce qu’elle voulait par ses sortilèges et ses maléfices. La dame, à force de prières et de cadeaux, l’amène à lui promettre de deux choses l’une : ou d’adoucir son mari, et de la faire rentrer en grâce ; ou, si elle ne peut y réussir, de détacher contre lui quelque spectre ou larve qui le mette à mort. La toute-puissante magicienne est bientôt à l’œuvre. Elle essaye d’abord les premiers secrets de sa détestable science, ceux qui excitent la passion de l’amour, et elle s’efforce d’agir sur le cœur si violemment outragé de l’époux. Le résultat ne répond point à son attente ; alors elle se dépite et s’en prend à ses intelligences. Stimulée cependant par la récompense promise, et d’ailleurs piquée au vif par la résistance qu’elle rencontre, elle se résout à menacer la tête du malheureux mari, en suscitant contre lui l’ombre d’une femme morte du dernier supplice.