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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/416

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ménagement, je tentais un mouvement de retraite, l’ennemi se portait en avant d’un effort désespéré, me saisissait aux reins, se collait à moi par étreintes convulsives, au point que j’en vins à douter si je ne péchais pas plutôt par le trop peu. Et, cette fois, je trouvai tout simple le goût de Pasiphaé pour son mugissant adorateur.

La nuit s’étant écoulée dans cette laborieuse agitation, la dame disparut à temps pour prévenir l’indiscrète lumière du jour, mais non sans avoir conclu marché pour une répétition. Mon gardien lui en donna l’agrément tant qu’elle voulut, sans se faire tirer l’oreille ; car, indépendamment du grand profit qu’il tirait de ses complaisances, il ménageait par ce moyen à son maître un divertissement d’un nouveau goût. Il ne tarda pas, en effet, à le mettre au fait de mes exploits érotiques. Le patron paya magnifiquement la confidence, et se promit de me faire figurer sous cet aspect dans ses jeux. Or, comme à cause du rang, il ne fallait pas songer pour le second rôle à ma noble conquête, et qu’un autre sujet pour le remplir était introuvable à quelque prix que ce fût, on se procura une malheureuse condamnée aux bêtes par sentence du gouverneur. Telle fut la personne destinée à entrer en lice avec moi devant toute la ville. Voici en substance ce que j’ai su de son histoire :

Elle avait été mariée à un homme dont le père, partant pour un voyage lointain, et laissant enceinte sa femme, mère de celui-ci, lui avait enjoint de faire périr son fruit, au cas où elle n’accoucherait pas d’un garçon. Ce fut une fille qui naquit en l’absence du père. Mais le sentiment maternel prévalut sur l’obéissance due au mari. L’enfant fut confié à des voisines, qui se chargèrent de l’élever. L’époux de retour, sa femme lui dit qu’elle a mis au monde une fille, et qu’elle lui a ôté la vie. Mais vint l’âge nubile. Cette fille conservée, comment, à l’insu de son père, la doter suivant sa naissance ? La mère ne voit d’autre moyen que de s’ouvrir à son fils. Ce dernier, d’ailleurs, étant dans la fougue de l’âge, elle appréhendait singulièrement les effets d’une rencontre et d’une passion entre ces deux jeunes gens, inconnus l’un à l’autre. Le jeune homme, excellent fils, entrant parfaitement dans les intentions de sa mère, eut pour sa sœur les plus tendres soins. Dépositaire religieux de ce secret de famille, et sans prendre ostensiblement à la jeune personne plus qu’un vulgaire intérêt d’humanité, il reconnut si bien les droits du sang, que l’orpheline, abandonnée chez des voisins, fut placée sous la protection du toit fraternel, et qu’il la maria bientôt à un ami intime et tendrement chéri, en lui donnant sur sa fortune personnelle une dot considérable.

Mais cette noble conduite, ces dispositions aussi sages que pieuses, la fortune se plut à en détruire les effets, en rendant la maison du frère le foyer d’une affreuse jalousie. La femme de ce dernier, la même que ses crimes firent depuis condamner aux bêtes, croit voir dans la jeune sœur l’usurpatrice de sa place et de ses droits. Du soupçon elle passe à la haine, et bientôt se livre aux plus atroces machinations pour perdre sa rivale. Voici quel odieux stratagème elle imagine. Elle part pour la campagne, munie