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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/418

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tidote à l’action funeste du poison qu’il vient de prendre. Mais la scélérate créature ne perdait pas sa proie de vue. Elle ne veut à aucun prix qu’il s’éloigne d’un pas, avant qu’on ait vu l’effet entier du breuvage. Il eut beau prier, supplier, ce ne fut qu’après un long temps et de guerre lasse qu’enfin elle le laissa partir. Mais déjà le principe destructeur avait pénétré ses viscères, et gagné les sources de la vie. Mortellement atteint, et appesanti déjà par une invincible somnolence, il put à peine regagner sa demeure, et n’eut que le temps de conter la chose à sa femme, lui recommandant, du moins, de réclamer le salaire d’un double service ; et, la violence du mal augmentant, il rendit les derniers soupirs. L’agonie du jeune homme n’avait pas été plus longue. Il avait succombé sous les mêmes symptômes, au milieu des hypocrites doléances de sa femme.

Son enterrement terminé, au bout du temps consacré pour les devoirs funéraires, la veuve du médecin se présente, et demande le prix de deux morts. L’odieuse créature toujours la même, toujours sans foi, quoiqu’elle cherche à en conserver le simulacre, met tout son art dans sa réponse. Elle prodigue les promesses, et s’engage formellement à payer sans délai le prix convenu, si l’on consent à lui céder encore une légère dose de la même composition, afin de finir, dit-elle, ce qu’elle a commencé. Pour couper court, la femme du médecin donne dans le piège sans se faire presser, et, voulant faire sa cour à la grande dame, elle retourne vite à son logis, et lui rapporte la boîte même qui contenait tout le poison.

Le monstre féminin, désormais en fonds pour le crime, va porter sur tout ce qui l’entoure ses mains homicides. Elle avait, du mari qu’elle venait d’empoisonner, une fille en bas âge à qui la succession du père revenait de plein droit ; et c’est ce qui désespérait sa mère. Elle en veut au patrimoine de sa fille ; elle en veut à sa vie. Une fois certaine que la loi permet à la mère dénaturée de recueillir un sanglant héritage, elle devient pour sa fille ce qu’elle avait été pour son époux. Dans un dîner où elle avait invité la femme du médecin, elle les empoisonne à la fois toutes deux. Mais le terrible breuvage, saisissant aux entrailles la pauvre enfant, anéantit d’un coup sa frêle existence, tandis que la femme du médecin eut le temps de sentir le liquide meurtrier gagner de proche en proche, et promener ses ravages autour de ses poumons. Elle soupçonna l’affreuse vérité ; et sa respiration, de plus en plus oppressée, dissipant bientôt tous ses doutes, elle court à la maison du gouverneur, implore à grands cris sa justice. Le peuple déjà s’ameutant autour de cette femme, qui promet d’horribles révélations, l’autorité fait ouvrir les portes, et lui donne audience sans délai.

Mais à peine eut-elle déroulé la révoltante série des forfaits de l’atroce mégère, que tout à coup sa raison se trouble, le vertige la saisit, ses lèvres se serrent, ses dents se froissent, et font entendre un grincement prolongé. Ce n’est plus qu’un cadavre qui tombe aux pieds du gouverneur. En présence de tant d’horreurs, celui-ci, homme d’expérience, se décide à frapper un grand coup. Les femmes de la coupable sont