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jusqu’au ventre. Il n’y a guère que l’extrême avant et l’extrême arrière du navire qui soient à peu près libres. — Après un déjeuner rapide, je monte dans le parc débordant de morue : je n’ai pas à me baisser pour la prendre, elle m’atteint la poitrine. Le moindre roulis m’emporte avec cette masse gluante. Le capitaine et le second sont à l’établi : je vais donc décoller pour entretenir deux trancheurs ; heureusement les deux n’en valent pas un bon, et je réussis à les suivre sans trop de peine en commençant ; mais vers la fin, on est obligé de me stimuler par quelques volées de coups de bâton. La séance dure un temps infini : entré dans mon parc vers dix heures du matin, il est près de onze heures du soir lorsque j’en sors pour souper. On ne s’est interrompu que pour une collation rapide, et pour absorber quantité de boujarons. Pour une première journée, me voilà bien sur les dents. Je n’ai plus la force de manger. Depuis le lever, cela fait à peu près vingt-deux heures ! Du reste, je vois des hommes faits qui ont l’air aussi exténués que moi, qui n’ai pas dix-sept ans.

Je gagne péniblement mon grabat, où je goûte un repos tourmenté. L’épouvante de ce travail et des coups qui m’attendent si je ne le domine me suit en dormant. Mes deux ou trois heures de repos ne sont qu’un affreux cauchemar. La réalité dépasse donc tout ce qu’on m’avait annoncé.

Il n’est pas trois heures du matin qu’il faut recommencer. Véritable paquet de douleurs, je me traîne derrière avec les autres afin de boire une gorgée d’eau