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coulèrent ; et ce fut ainsi, entre deux eaux, qu’elles supportèrent tout l’ouragan. Le soir du premier jour, j’avais longuement contemplé le spectacle grandiose d’une mer vraiment en furie, et je m’en étais comme grisé. Les tempêtes, et toutes les choses énormes d’ailleurs, n’ont jamais manqué de me mettre hors de moi. Mon enthousiasme fit croire à plus d’un matelot que le cambusier m’avait gratifié de quelque ration supplémentaire. Il n’en était rien pourtant. Mais je bavardai comme une pie, aussi longtemps qu’on voulut m’écouter ; et je me permis même, — moi qui n’ouvrais généralement la bouche que pour répondre aux questions qui m’étaient posées —, de « blaguer » les vieux qui avaient peur. J’obtins un certain succès. Vers minuit, je dormais profondément quand je fus violemment arraché de l’espèce de niche à chien qui me servait de lit. Il parait que tout le monde était sur le pont depuis une heure. Un navire « banquais », qui avait brisé ses chaînes, venait droit sur nous, et pendant un quart d’heure on s’était tenu hache en mains, prêt à couper le câble pour fuir devant lui. Il avait fini par apercevoir notre fanal et accomplir les manœuvres nécessaires pour nous éviter, et ceux qui n’étaient pas de quart étaient venus se recoucher. Ce fut alors qu’un matelot s’aperçut qu’un novice s’était permis de ne pas entendre l’appel et de dormir, pendant que tout le monde avait failli travailler. C’était le monde renversé. « Ah ! je vais t’apprendre, me dit-il, en m’expédiant sur le pont, sans me laisser