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faisait un temps clair, et une brise favorable nous permit de doubler la pointe de Cancale avant la nuit.

Je sens le monde s’agrandir en voyant disparaître ces côtes dont le seul nom me fait frissonner d’aise. La nuit est venue, les côtes ont disparu. Ce sont les feux multiples de cette mer semée d’écueils qui remplissent l’horizon. À droite, le feu flottant des Minquiers ; à gauche, les feux du port et même de la ville de Saint-Malo ; le magnifique phare du cap Fréhel ; celui des Hauts de Bréhat, dans le lointain, sur l’avant ; plus tard, celui des Sept Îles et beaucoup dont j’ai oublié les noms, sans doute parce que, la fatigue aidant, la vivacité des impressions finit par s’émousser. Je me rappelle que je restai sur le pont, de 7 à 10 heures, pouvant aller me coucher et que je dus prendre le quart avec ma bordée, de 10 h. à 3 h. du matin. Comme le temps était beau, la manœuvre était insignifiante. J’eus tous les loisirs nécessaires pour me laisser aller à la contemplation.


Le lendemain, un dimanche, j’éprouvai encore une exaltation du genre de celles de la veille en entendant dire que nous étions à la hauteur des Sorlingues. Je ne sais pas pourquoi ce mot me parut contenir quelque chose de magique. Il me semblait que ma personnalité s’augmentait du fait d’avoir été jusqu’aux Sorlingues. Seulement nous passâmes trop loin de ces îles pour les apercevoir. Déception grave pour quelqu’un que son imagination avait poussé à s’embarquer. Cependant je me distrais par la vue de navires