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ans de service, et des flancs plus ou moins pourris, qui ne promettaient guère de tenir qu’un petit nombre d’heures contre les « raguages » du champ de glaces.

Nous y entrâmes pourtant. C’était un soir, vers onze heures. J’étais sur mon siège aérien, engourdi, comme paralysé par le froid. Quoiqu’on m’eût annoncé une certaine lueur qui devait m’avertir de la banquise, je ne vis rien du tout, pas plus, d’ailleurs, qu’aucun des hommes qui, dans ces parages dangereux, se relayaient d’heure en heure pour faire la veille du bossoir avec moi. Il tombait une pluie fine et épaisse qui rendait bien difficile de distinguer quoi que ce fût dans la mer. Dés les premiers craquements, tout le monde se trouva sur le pont, depuis le capitaine jusqu’au dernier des passagers. Peu nombreux furent ceux qui prirent le temps de se vêtir. Il est vrai que, dans ce métier, on ne sait pas ce que c’est que se déshabiller pour se mettre au lit. — Pour ma part, je peux vous dire que je fus tiré de ma torpeur moins par la peur du danger pour ma vie que par celle du danger pour mes côtes. Je m’attendais à une « dégelée » maîtresse. Il n’en fut rien. Un matelot se mit bien en devoir de m’attraper, mais un passager de chambre, un patron de ces goélettes qui font la pêche sur les bancs qui avoisinent Saint-Pierre, attrapa ce matelot lui-même, et lui fit entendre assez éloquemment qu’on ne charge pas un enfant du rôle de vigie en de pareils moments. À ce passager que je n’ai jamais revu, j’ai gardé une reconnaissance qui ne prendra fin qu’avec ma vie.