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Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/82

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la folie ; tels étaient bien les monologues que je lui débitais, et il m’arrivait d’embrasser le vieux navire qui filait si bien.

C’est sur ce gaillard que j’ai pensé pour la première fois que la douleur et la mort ne peuvent faire trembler que ceux qui n’ont pas lié avec elles une assez intime connaissance. La douleur : j’y étais entré jusqu’au point où elle se transforme en insensibilité ; je savais désormais qu’il y a une capacité de souffrance déterminée pour chacun, une capacité au delà de laquelle il n’y a plus rien. La mort ! Plein de santé et d’aspirations, je l’avais regardée bien en face, je m’y étais attendu souvent ; j’en avais par suite épuisé toutes les craintes. — La vie pouvait me réserver ce qu’elle voudrait désormais ; j’étais au-dessus de ses déceptions. Je n’aurais jamais eu peur de rien, si j’avais toujours su garder ces idées présentes.


Mais les épreuves n’étaient pas aussi finies que nous le pensions tous. Le retour aurait été trop heureux pour cette campagne de malechance, si le vent s’était maintenu ; nous ne devions pas rentrer de sitôt dans le port. En huit jours, nous avions été poussés jusque sur les Sondes, un banc de l’Atlantique situé vers la longitude des Açores, c’est-à-dire que nous n’étions plus qu’à une centaine de lieues des côtes de France. Là nous restâmes une vingtaine de jours, entre des alternatives de calmes et de forts vents de bout. Plus qu’à