Aller au contenu

Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sociale ? Et enfin, la philosophie ne les enveloppe-t-elle pas d’une atmosphère pressante, et qui s’infiltre en chaque page ? L’inconnaissable est là, toujours — le plus souvent sous les espèces de la mort. Les leaders-personnages, à travers toutes péripéties, sont en constante peine des causes premières et des suprêmes finalités, et lorsqu’ils n’analysent pas leur propre agonie ou n’observent pas celle d’autrui, le moindre incident les rappelle à l’obsession de l’angoissant problème où échoueront un Jour tous leurs désirs, tous leurs espoirs, tous leurs rêves.

Pour tâcher de déterminer dans la nomenclature littéraire la place d’œuvres si touffues, on ne peut que leur appliquer l’heureuse désignation proposée par M. E.-M. de Vogué : Guerre et Paix est une polygraphie, et c’est la somme de la société russe à l’époque des grandes guerres qui inaugurèrent le xixe siècle, comme Anna Karénine est la somme de la société russe au lendemain de l’abolition du servage et à la veille des grandes réformes poursuivies actuellement, c’est-à-dire à l’heure de l’apogée du Slavophilisme. Si l’on veut être complet, il importe d’ajouter que la première est dominée par la physiologie de la guerre, et la seconde par celle du mariage.

L’opinion professée par Tolstoï à l’égard du phénomène de la destruction de la vie humaine par l’homme même, est aussi simple que le sens où il entend l’institution par laquelle celle-ci est conservée et perpétuée.

La guerre est encore plus absurde qu’horrible. Et les documents qu’il accumule pour faire sentir le bien fondé de ce point de vue, forment un ensemble infiniment plus saisissant que les meilleures argumentations que tel ou tel théoricien pur ait jamais élaborées en vue d’aboutir à la même conclusion.

Quant au mariage, il n’y admet pour exclusive base que l’amour mutuel des deux contractants, et pour but unique la fondation d’une famille. Si toutefois l’un des deux époux a été amené par les aberrations du monde actuel à nouer des liens où l’amour ne soit pour rien et où la fondation d’une famille soit reléguée parmi les préoccupations secondaires, si même elle n’est considérée comme un inévitable inconvénient, qu’il se garde de jamais sacrifier le devoir à la passion. Il va de soi qu’il ne s’agit pas ici