Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/143

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— C’est bien vrai, dit l’autre. Il n’y a plus moyen de venir à bout de ses fils. Tous se croient plus malins que leur père. Ainsi Démotchkine, qui a cassé un bras au sien ; voilà qui est intelligent ! »

Nikita écoutait, examinait les physionomies, et avait visiblement envie de caser son mot, mais il était trop occupé par son thé et ne pouvait qu’approuver de la tête. Il avalait verre sur verre et sentait une agréable chaleur pénétrer tout son corps peu à peu.

On en vint à parler des malheureuses conséquences du partage des terres familiales. Et la question était brûlante, car ce partage était demandé par le second fils, qui se trouvait là et gardait un silence maussade. On causa d’abord de la chose d’une manière tout à fait impersonnelle, en raison de la présence des étrangers. Mais à la fin le vieux n’y tint plus, et, les larmes aux yeux, s’écria que tant qu’il vivrait il ne consentirait pas au partage ; que sa maison, grâce à Dieu, ne manquait de rien, et que si l’on partageait, chacun n’aurait plus qu’à mendier.

« Ce serait comme les Matvéïev, appuya le staroste. C’était une vraie maison ; et quand ils se sont séparés, personne n’a rien eu.

— Voilà ce que tu veux, n’est-ce pas ? » conclut le vieux en se tournant vers son fils.

Celui-ci ne répondit pas, et le silence commençait à devenir embarrassant, lorsque Pétrouchka, qui était rentré depuis quelques instants, prononça :

« Ça me fait penser à certaine fable de Paulson. Le père a ordonné à ses enfants de briser un faisceau de verges. Ils n’ont pas pu le rompre d’un coup, mais ils y arrivent en cassant chaque verge l’une après l’autre… C’est attelé, ajouta-t-il.