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« Viens, ma colombe, disait-il en le faisant sortir des brancards. Tu vois, je vais t’attacher ici. À présent, je vais te débrider. Et puis je vais te mettre un peu de paille. Mange, et tu ne seras pas triste. »

Mais Moukhorty ne semblait pas tranquillisé du tout. Il piaffait, se serrait le long du traîneau, tournait la croupe contre le vent et frottait sa tête sur la manche de Nikita. Il arracha avidement une bouchée de la paille qu’on lui présentait, mais aussitôt, réfléchissant sans doute que ce n’était pas le moment de s’occuper de paille, il la laissa tomber.

« Maintenant nous allons établir un signal, dit Nikita en tournant l’avant-train du traîneau contre le vent et dressant les deux brancards en l’air. Quand la neige nous aura recouverts, il restera toujours bien un bout de brancard pour la dépasser, et les bonnes gens pourront ainsi nous retrouver. C’est mon père qui m’a appris à faire ça. »

Vassili Andréitch frottait allumette sur allumette en tenant la boîte à l’abri derrière sa pelisse écartée. Mais ses mains tremblaient, et le vent éteignait le feu avant qu’il eût eu le temps de le porter à la cigarette. Enfin une allumette prit. La flamme éclaira un instant la fourrure de son col, sa main avec la bague d’or passée au médius, la sacoche qui avait glissé par devant ; la cigarette s’alluma. Il aspira deux exquises bouffées, avala la fumée, la fit ressortir par le nez ; mais avant qu’il eût pu mettre la cigarette à ses lèvres une troisième fois, le vent emporta le tabac embrasé. Cependant ç’avait été assez de ces deux bouffées pour le réconforter.

« Puisqu’il faut coucher ici, couchons-y ! » murmura-t-il avec décision.