Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/18

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mal, donc retournons à la vie végétative. C’est le même sophisme que celui qui conclut la Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert.

La thèse a été depuis longtemps si victorieusement réfutée, que l’on peut s’étonner qu’elle ait gardé la force de resurgir à nouveau. Quoi qu’il en soit, voici comment elle est plaidée dans Confession, dans En quoi j’ai foi dans le Commentaire de l’Évangile, dans Que faut-il donc faire ? dans Quelle est ma vie, et ailleurs parmi cette multitude des écrits didactiques de Tolstoï qui menace de surpasser la masse des productions de Swedenborg.

Et d’abord la science.

« Vous dites, par exemple, que l’homme a le droit de ne se soumettre qu’aux lois par lui consenties : la science vous répondra que les lois ne sont pas l’œuvre de l’homme, mais l’expression d’un moment historique. Vous dites que vous croyez en Dieu : la science vous répondra que les idées métaphysiques varient avec les phases de l’évolution humaine. Vous dites que l’Iliade est la plus belle des épopées : la science vous répondra qu’une épopée est le résumé de la mentalité d’une société primitive. La science ne s’inquiétera pas de savoir si la liberté est ou non nécessaire à l’homme, si Dieu existe ou non, si l’Iliade est belle ou non. Elle se contentera de localiser dans l’histoire les sujets que vous venez de lui soumettre et la façon dont vous les envisagez. Dites-lui que vous souhaitez quelque chose, ou que vous y avez foi, ou que vous l’aimez. Elle vous répondra que vos vœux, votre culte, vos passions, ne sont que les vœux, le culte, les passions, d’un homme de tempérament et d’âge donnés, vivant dans un milieu et à une date donnés, et que par conséquent le juste, le vrai et le beau sont purement relatifs. »

Et Tolstoï oublie qu’il a posé en principe le néant des conceptions humaines, pour taxer d’erreur et d’inutilité ce qui précisément démontre ce néant.

Voyons maintenant comment est dressé le réquisitoire contre le progrès.

« Pourquoi le peuple — c’est-à-dire les neuf dixièmes de l’humanité — demeure-t-il indifférent à la civilisation, pourquoi même souvent s’y montre-t-il hostile ? Parce que la plupait des avantages du progrès passent hors de sa