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Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/271

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au-dessus de la maison, on ne la voyait points et la moitié de l’ombre du toit, des colonnes et de la toile de la marquise était reproduite en raccourci sur le sable luisant du sentier et sur le demi-cercle de la pelouse. Tout le reste était clair et baigné dans la rosée argentée que faisait scintiller la lumière de l’astre immobile, tandis que du ravin et de l’étang s’élevait um brouillard bleuâtre.

« Allons nous promener un peu », fîs-je.

Katia consentit, mais me dit de mettre des galoches, afin de ne pas m’enrhumer.

« Non, Katia, Serge Mikhaïlitch me donnera le bras », répondis-je étourdiment.

Comme si son bras pouvait m’empécher de m’enrhumer. Alors pourtant cela nous paraissait fort naturel à tous deux. Il ne me donnait jamais le bras d’habitude, mais cette fois, je le pris de moi-même et il ne parut pas s’en étonner. Nous descendîmes les marches de la terrasse, et il me sembla que ces gens, ce ciel, ce parc, cet air, n’étaient point ceux que je connaissais. Lorsque je regardai devant moi dans l’allée, il me semblait qu’il était impossible d’avancer, que là finissait le monde possible. Mais au fur et à mesure, que nous avancions, le mur enchanté s’éloignait. Et nous marchions sur les ombres et les lumières ; à côté de moi j’entendais son pas régulier, et je sentais son bras qui serrait le mien avec précaution. Pendant ce temps la lune nous regardait, là à travers les branches…

« Ah ! ciel !… un crapaud ! s’écria Katia avec effroi.

— Et vous, vous n’avez pas peur ? » me demanda-t-il.

Je me tournai vers lui sans répondre. Dans l’éclaircie des arbres je vis son visage transfiguré de bonheur. Il