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histoires tristes.

C’est toi qui passes là, jeune homme, c’est nous tous,
Nous tous qui nous traînions hier à ses genoux
Alors qu’elle était jeune et qu’elle était rebelle,
C’est nous, c’est toi, vieillard, toi, qui, la voyant belle
Et qui la sachant pauvre avec cette beauté,
A fait de sa pudeur rougir sa pauvreté.

Et dire que peut-être au fond de ce cadavre
Une femme est vivante et que tout cela navre,
Et qu’il lui vient au cœur le dégoût qui m’y vient,
Et qu’elle désespère et qu’elle se souvient !

Oh ! l’âme que ce corps doit avoir pour compagne,
Ce lis dans ce fumier, cet ange dans ce bagne !…

Quel est donc le passé qu’elle paye à ce prix ?…
Et si pour nos mépris elle avait du mépris ?
Qui sait ce qui se passe au fond de sa pensée,
Et les dédains muets de cette ombre offensée ?
Que doit-elle penser des hommes après tout ?