Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/11

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ma position, je me dis qu’il faut s’arranger selon ses besoins et son caractère ; c’est duperie que de faire autrement. On n’est bien connu que de soi. Il y a entre les autres et soi une barrière invisible ; l’illusion seule de la jeunesse peut croire à la possibilité de la voir disparaître. Elle se relève toujours[1]. »

On le voit, Stirner n’a pas inventé le sentiment de l’unicité, s’il a inventé le mot. Ce sentiment se confond avec le sentiment même de l’individualité. Être individualiste, c’est se complaire dans le sentiment, non pas même de sa supériorité, mais de sa « différence », de son unicité. — Et cela dans n’importe quelles conjonctures, même les plus adverses ou même les plus affreuses. — Il est telle espèce d’hommes qui, frappés par le sort, honnis par la tourbe des imbéciles (il est vrai que ceci est un réconfort), engagés dans une de ces impasses de la vie où il semble qu’on doive toucher à l’extrême désespoir, précisément dans ce moment, trouvent une exaltation de force et d’orgueil dans le sentiment de leur moi et ne voudraient pas changer ce moi contre n’importe quel autre, tant favorisé fût ce dernier moi par la fortune ou par les hommes. — L’individualiste fait résider toute sa valeur et tout son bien non dans ce qu’il possède, ni dans ce qu’il représente, mais dans ce qu’il est.

L’unicité du moi ne va pas sans instantanéité. — Dans le sentiment de l’individualité entre comme élément

  1. Benjamin Constant, Journal intime, p. 43.